Une variante, fournie par une inscription de Mison au Champa, et reproduite dans diverses descriptions du Cambodge, substitue au prince le brahmane Kaundinya qui épouse la nâgi Somâ pour l'accomplissement des rites et, lançant le javelot magique dont il est armé, fixe par son point de chute l'emplacement de la ville royale, où régnera le Somavamça ou race lunaire. Une autre tradition populaire moins répandue donne enfin comme couple originel le maharshi Kambu Svâyambhuva et l'apsaras Merâ, dont l'union symbolise celle des deux grandes-races solaire (Sùryavamça) et lunaire (Somavamça) : elle a surtout survécu dans le mot Kambujâ - fils de Kambu -d'où dérive le terme de Cambodgien par lequel nous désignons les descendants actuels des anciens Khmers.
Quelle que soit la version adoptée, le sens mythique n'est pas douteux et ne dénature pas la réalité des faits : le peuple Khmer est né de la conjonction de deux éléments distincts, indien et aborigène.
Ce n'est nullement, comme certains le croient, un peuple d'origine purement indienne qui serait venu, à la suite de migrations, se fixer dans une région vide d'habitants, ou en aurait éliminé les éléments indigènes par des massacres ou des déportations en masse : le peuple khmer est un peuple autochtone hindouisé.
Etablis dès les temps préhistoriques en la zone méridionale de la péninsule indochinoise tributaire du cours inférieur du Mékong et comprenant non seulement le Cambodge actuel mais aussi la Cochinchine et partie du Siam et du Laos, les Khmers se rattachent en effet, tant au point de vue ethnologique que linguistique, aux populations mon de Basse-Birmanie et à quelques peuplades barbares de la Chaîne annamitique, dérivant elles-mêmes vraisemblablement d'éléments negritos et indonésiens. II semble que l'apport indien soit la conséquence d'une expansion naturelle vers l'Est, à tendances commerciales, civilisatrices et religieuses, plutôt que le fruit d'une politique d'annexions brutales.
Par ailleurs, lors de la chute de l'Empire Khmer, qui frappe l'imagination par sa soudaineté apparente et l'étendue de ses ravages, il y a bien eu décadence totale et abandon de la capitale, mais non point disparition plus ou moins mystérieuse de la race. Celle-ci qui, sous l'instigation de la France, commence seulement à reprendre conscience de sa valeur et à se relever, n'a point cessé d'exister : elle a gardé ses caractères fondamentaux, ses traditions, sa religiosité, et parle la même langue. Ses tendances artistiques elles-mêmes se retrouvent, dès qu'on lui donne l'occasion de les faire revivre.
On a parlé de catastrophes d'ordre physique, tremblements de terre, inondations, assèchement bouleversant l'économie du pays. Effectivement, s'il est difficile d'admettre qu'un séisme ait pu laisser debout maintes constructions de pierre, certains indices, tel le comblement d'énormes bassins et des points bas d'Angkor Thom et de ses faubourgs, rendent plausible l'hypothèse d'un débordement du Grand Lac ou de quelque rupture de digue, et chacun sait que pareil cataclysme s'accompagne d'ordinaire d'épidémies et d'actions dévastatrices. Parallèlement la disparition du système hydraulique perfectionné, qui dispensait à toute la région vie et fertilité, a pu très rapidement transformer en terres inhospitalières des zones jusqu'alors peuplées et productives.
Mais il suffisait de causes humaines. Si cinq siècles seulement nous séparent de la date de l'abandon d'Angkor en tant que capitale, il ne faut pas oublier qu'auparavant une période très dure et peu glorieuse avait fait suite aux quatre siècles - IXe au XIIIe - du temps de sa splendeur. Epuisé déjà par un labeur colossal, pressuré par les rois-bâtisseurs qui devaient assurer sa renommée posthume, le peuple khmer n'a pu résister à toute une série de guerres meurtrières suivies sans doute du transfert systématique des populations asservies : la ruine est venue mais non l'extinction totale.
Le cadre géographique de l'ancien royaume khmer est celui de ses monuments. Si, en effet, ceux-ci se trouvent groupés de façon particulièrement dense dans la zone angkorienne, au Nord du Grand Lac, on en compte plus d'un millier de vestiges répartis sur l'ensemble du territoire entre le golfe du Siam et Vientiane d'une part, le delta du Mékong et la vallée du Ménam d'autre part, c'est-à-dire dans le Cambodge actuel, la majeure partie de la Cochinchine, le bas et le moyen Laos, le Siam oriental et une partie de la vallée du Ménam. Les différentes scissions qui se sont produites au cours des siècles, proviennent non point d'un manque d'unité dans son peuplement, mais d'une opposition d'ordre physique entre les régions arides situées au Nord de la chaîne des Dangrek et les fertiles plaines du Sud.
Le Cambodge actuel se trouve bordé par le Golfe du Siam au Sud-Ouest, le Laos au Nord, l'Annam et le Sud-Viet Nam à l'Est et au Sud-Est.
Sa principale artère, la vallée du Mékong, qui le traverse sensiblement du Nord au Sud, se joint à Phnom-Penh au Tonlé-Sap, qui, s'étalant au Nord-Ouest en un vaste plan d'eau de 140 kilomètres sur 30, irrigue les plaines environnantes.
Le Tonlé-Sap - ancien golfe marin devenu lac - offre cette particularité qu'à chaque saison des pluies, de mai à octobre, ses eaux, cessant de se déverser dans le Mékong, sont refoulées par celui-ci, et montant d'une dizaine de mètres, forment un énorme bassin régulateur dont la surface arrive à être triplée par rapport aux niveaux de saison sèche : de grandes fêtes nautiques accompagnées de courses de pirogues marquent, lors de la pleine lune de novembre, la fin de cette période et le Roi, par un geste symbolique, y préside au renversement du courant.
Chaque crue annuelle voit le Tonlé-Sap se colmater davantage, et l'inondation des zones forestières qui bordent ses rives, assurant aux poissons une nourriture particulièrement substantielle, en a fait le vivier le plus riche du monde entier
Le climat du Cambodge, pays compris entre les 10° et 14° degrés de latitude Nord, se rapproche du régime équatorial à température presque constante. Le contraste entre la saison sèche et la saison des pluies, marquée par de fortes ondées, est cependant très net, et si la température moyenne de l'année est de 28°, les nuits de décembre et janvier, spécialement fraîches, voient le thermomètre descendre aux environs de 20° tandis que les mois d'avril et mai sont caractérisés par des chaleurs torrides atteignant 35° dans une atmosphère chargée d'orages qui n'éclatent pas.
Soumis à l'influence des moussons, le Cambodge est cependant protégé du côté de la mer par des chaînes de montagnes de 1.000 à 1.500 mètres - notamment la chaîne de l'Eléphant où se trouve la station d'altitude du Bokor - qui lui valent un climat moins humide et malsain que celui de la Cochinchine : les ciels y sont souvent d'une transparence et d'une pureté absolues, éminemment favorables aux nuits de lune.
C'est au rythme des pluies et des inondations que se règlent les différentes cultures, principalement celle du riz, et la pêche sur le Tonlé-Sap, où, durant la saison sèche, s'établissent en plein lac des villages entiers dont les cases de bambou sur pilotis s'accompagnent de sécheries de poisson. Le Cambodgien se loge, couramment, au bord de l'eau, dans des paillotes ou maisons de bois isolées du sol par des pilots de deux mètres de haut, il est à l'abri des bêtes et de l'inondation et range sous sa demeure son maigre cheptel. Ne travaillant que pour assurer le paiement de son impôt et la subsistance de sa famille, il vit de préférence au milieu de sa petite exploitation et sans goût pour le négoce, se contente de céder aux revendeurs chinois ou annamites son excédent de paddy ou de sucré de palme, quelques porcs ou poulets, et les fruits de son jardin. La base de son alimentation est le riz et le poisson : celui-ci se trouve partout, même en pleine rizière, où il se terre durant les mois de saison sèche dans la vase du sous-sol pour ressortir dès les premières pluies.
De nature sensible et d'esprit très religieux, le Cambodgien centre sa vie sur la pagode, où il fait obligatoirement un stage au cours de ses jeunes années. Généreux envers ses prêtres dont il assure la subsistance — ces innombrables bronzes dont la robe, d'un jaune éclatant, anime chaque paysage — il saisit toute occasion de vénérer le Bouddha et de s'acquérir des mérites, jalonnant l'année de fêtes multiples qui satisfont son goût marqué pour les loisirs.
La religion nationale est le bouddhisme du Petit Véhicule, ou Hinayâna, de langue Pâli, pratiqué également à Ceylan, en Birmanie, au Siam et au Laos. La vie monastique y joue le principal rôle, et la foi populaire, assez rudimentaire et teintée parfois de souvenirs d'anciennes superstitions, est basée sur la transmigration des âmes et la recherche du salut personnel par les uvres au cours d'une existence où chaque acte entre en ligne de compte pour le règlement futur. Après la mort, le corps est conduit au bûcher et la crémation se termine par le dépôt des derniers débris d'ossements dans un petit monument funéraire (Cedei) ou leur mise en terre en un emplacement rituel.
Les scènes sculptées sur les bas-reliefs, principalement au Bayon, où beaucoup d'entre elles se rapportent à des représentations de la vie courante, se retrouvent à peu près exactement, dès que l'on a le temps d'y prêter attention, dans les manifestations actuelles de l'existence campagnarde : celle-ci n'a guère évolué. On y reconnaît les mêmes types d'habitations, les mêmes charrettes ou pirogues, les mêmes instruments de culture, de chasse ou de pêche et de musique, les mêmes coutumes et métiers manuels.
«Les habitants sont grossiers et très noirs. Qu'ils habitent dans les lointains villages des îles de la mer ou dans les rues les plus fréquentées, c'est tout un. Il faut arriver jusqu'aux personnes du palais et aux femmes des maisons nobles pour en trouver beaucoup de blanches comme le jade, ce qui doit venir de ce qu'elles ne voient jamais les rayons du soleil. En général, les femmes comme les hommes ne portent qu'un morceau d'étoffe qui leur entoure les reins, laissent découverte leur poitrine blanche comme le lait, se font un chignon et vont nu-pieds ; il en est ainsi même parmi les épouses du souverain. Le souverain a cinq épouses, une de l'appartement privé proprement dit, et quatre pour les quatre points cardinaux. Quant aux concubines et aux filles du palais, j'ai entendu parler d'un chiffre de 3.000 à 5.000, divisées en plusieurs classes, mais elles franchissent rarement leur seuil. Toute famille qui a une belle fille ne manque pas de l'amener au palais.Au-dessous sont les femmes qui font le service du palais, il n'y en a pas moins d'un ou deux mille. Elles sont mariées et vivent un peu partout. Mais sur le haut du front elles se rasent les cheveux, et marquent cette place de vermillon ainsi que les deux côtés des tempes. Ces femmes seules peuvent entrer au palais ; toutes les personnes au-dessous d'elles ne le peuvent pas.Les femmes du commun se coiffent en chignon, mais n'ont ni épingle de tête, ni peigne, ni aucun ornement de tête. Aux bras elles ont des bracelets d'or, aux doigts des bagues d'or ; les femmes du palais en portent toutes. Hommes et femmes s'oignent de parfums composés de santal, de musc et d'autres essences.Tous adorent le Bouddha.»
NOTES D'ÉPIGRAPHIE par M. Louis Finot, Directeur de l'Ecole française d'Extrême-Orient
«Dès le début - nous dit M. Coedès - elles attestent l'emploi simultané de deux langues : une langue savante, le sanskrit, réservée aux généalogies royales ou princières, au panégyrique des fondations de monuments ou des pieux donateurs ; une langue vulgaire, le khmer ou cambodgien réservée au dispositif de la fondation et à l'énumération des serviteurs et des objets donnés aux temples. Les textes sanskrits sont exclusivement rédigés en vers : ce sont des compositions auxquelles les indianistes donnent le nom de Kâvya. »
Le sanskrit a cessé d'être la langue savante en usage en Indochine lorsque, vers les XIV-XV siècles, les religions brahmanique et bouddhique du Mahâyâna ou Grand Véhicule eurent été remplacées par le bouddhisme du Hinayâna ou Petit Véhicule : la langue employée est devenue le pâli, également d'origine hindoue. Quant au vieux khmer, M. Coedès a fait remarquer qu' «il différait beaucoup moins du cambodgien actuel que la langue de la Chanson de Roland ne diffère du français».
Les inscriptions étaient gravées au burin en lettres d'au moins un centimètre de hauteur, tantôt sur des stèles, tantôt sur les tableaux des baies des sanctuaires. Les stèles, dont l'emplacement parait avoir été variable dans les différents monuments, étaient généralement abritées dans un édicule spécial : constituées par des dalles rectangulaires à deux faces inscrites ou des bornes à quatre faces, elles étaient en pierre dure et polie, fixées au sol ou sur un socle par un tenon. Beaucoup ont été trouvées en pleine campagne.
Les textes figurant sur les piédroits des baies en couvraient parfois la majeure partie. Vers la fin de la période classique l'habitude est venue de relater en une ou plusieurs lignes l'érection de la statue - dieu ou personnage divinisé - qui garnissait chaque sanctuaire, soit en réservant une place unie dans le décor à fleur de pierre, soit en en raclant une partie : de même pour l'identification de certaines scènes de bas-reliefs. Beaucoup de blocs enfin portent des caractères grossièrement taillés qui devaient être des marques de chantier.
Du IIIe au VIIe siècle, le royaume nettement hindouisé du Fou-Nan - dont M. Coedès rattache les traditions dynastiques à la cour des Pallavas et situe la capitale dans la région du Ba Phnom, partie Sud-est du Cambodge actuel - avait acquis un grand développement territorial. Riche et puissant, il entretenait avec la Chine des relations suivies, dont témoigne l'envoi de nombreuses ambassades.
Vers le milieu du VI siècle cependant certains troubles éclataient dans quelques Etats feudataires, et le plus puissant d'entre eux, le Tchen-La ou Kambuja (Cambodge proprement dit), après avoir proclamé son indépendance, s'agrandissait peu à peu au détriment du Fou-Nan, s'emparait de sa capitale et finissait par l'absorber entièrement après trois quarts de siècle de lutte, du vivant du roi Içanavarman. Celui-ci, monté sur le trône vers 615, régnait jusque vers 635, fondant la nouvelle capitale d'Içanapura (probablement Sambor-Prei Kuk, prie de Kompong Thom).
Peu après, et durant tout le VIIIe siècle, le royaume se scindait en deux Etats rivaux, le Tchen-la d'eau comprenant la Cochinchine et le bassin inférieur du Mékong au Sud de la chaîne des Dangrek, et le Tchen-la de terre correspondant aux territoires situés au Nord de celle-ci jusqu'au Haut-Laos. Le Tchen-la d'eau eut à souffrir durant cette période d'invasions parties de Java et de Sumatra, où l'Empire malais de Crivijâya avait acquis une certaine puissance. Ce fut d'ailleurs de Java où il semble avoir vécu en exil, que vint, au début du IXe siècle, le prince qui devait rétablir l'unité du royaume et instaurer la période dite angkorienne. Se réclamant des anciennes dynasties, il régna sous le nom de Jayavarman II et, proclamant l'indépendance du Cambodge vis-à-vis de Java, se mit en quête d'une capitale qui se trouverait non plus dans le bassin inférieur du Mékong mais dans la région Nord du Grand Lac ou Tonlé-Sap. Après quelques tribulations successives dans la plaine, il jetait son dévolu sur la chaîne du Mahendra (Phnom Kulên), qui, avec son vaste plateau oriental de 10.000 hectares, offrait des conditions de défense remarquables contre toute attaque : ce fut donc là qu'il établit, en l'an 802, le siège de son Etat, jetant les bases d'un culte nouveau, celui du dieu-roi ou Devarâja, par l'érection sur la pyramide de Rong Chen du premier Linga royal.
Après cinquante années de règne qui lui avaient permis de pacifier l'ensemble du pays, Jayavarman II, rebuté sans doute par les difficultés d'accès et de mise en culture de la résidence qu'il avait choisie et son éloignement du Grand Lac, redescendait sur la rive Nord de celui-ci et mourait en 854 à Hariharâlaya, région de Rolûos, qu'adoptaient également son fils, puis son neveu Indrayarman I. Ce dernier, construisant la pyramide artificielle de Bakong, premier monument de grès, y fondait en 881 le Linga Çri Indreçvara.
Dans les toutes dernières années du IXe siècle, son fils Yaçovarman, jugeant sa puissance suffisamment assise et soucieux de faire uvre durable, renonçait définitivement aux agglomérations à caractère de bourgades errantes pour créer la véritable puri aux limites précises, parée de tout le prestige d'une capitale digne de ce nom : ce fut Yaçodharapura, le premier Angkor, dont le «Vnam Kantal ou Mont Central« des inscriptions, identifié depuis les passionnantes recherches de M. Goloubew avec la colline du Phom Bakheng, servait de base au linga Çri Yaçodhareçvara, idole maitresse du royaume.
Pendant les siècles de gloire et de combats qui suivirent, Angkor devait rester la capitale, sauf une interruption de 23 ans de 921 à 944 après que le roi Jayavarman IV eût émigré à Chok Gargyar (Koh Ker), à une centaine de kilomètres Nord-Est. Son beau-fils Râjendravarman revenait à Angkor et «restaurait la sainte cité demeurée longtemps vide«, édifiant les temples du Mébon oriental et de Pré Rup, et partant en guerre contre le Champa dont il brûlait le temple de Po Nager.
Il semble qu'aux environs du XIe siècle, époque où furent édifiés notamment les monuments de Ta Kèo et du Phiméanakas, puis du Baphûon, les limites de la ville aient été quelque peu modifiées et, par un léger décalage vers le Nord, cessant d'avoir le Phnom Bakheng pour centre, aient correspondu sensiblement dès lors au tracé du futur Angkor Thom. Ce fut au cours de cette période qu'une dynastie étrangère, apparemment d'origine malaise, s'empara du trône : l'usurpateur Siryavarman I, fervent bouddhiste, agrandissait bientôt le royaume de toute la partie méridionale du Siam ou Dvâravati.
La première moitié du XIIe siècle est dominée par le règne d'un des plus grands souverains du Cambodge, Sûryavarman II, dont la prodigieuse réalisation architecturale d'Angkor Vat devait marquer l'apogée de l'art khmer classique. Après s'être allié aux Chams contre les Annamites, il se retournait contre eux, remportant une victoire éclatante qui lui donnait une portion du Champa.La revanche ne devait pas tarder à se produire : une période assez trouble suivait la mort du roi, survenue après 1145, un usurpateur s'emparait du pouvoir, puis en 1177 une attaque brusquée des Chams se terminait par la chute et l'incendie d'Angkor, suivis d'une dévastation générale.
L'envahisseur, chassé par Jayavarman VII, couronné roi en 1181 à l'âge de 55 ans environ, subissait à son tour une défaite complète sur son propre sol. Le Champa fut placé sous la domination khmère, gouverné par le beau-frère du vainqueur, et ce dernier, poursuivant ses conquêtes, étendait bientôt sa puissance jusqu'à Vientiane sur le Mékong et sur tout le pays de Dvâravati.
Parallèlement, et déployant une activité prodigieuse, Jayavarman VII relevait le Cambodge de ses ruines, reconstruisait sa capitale Angkor Thom en l'entourant d'une haute muraille coupée de cinq portes monumentales, réédifiait sur des plans nouveaux le temple central du Bayon, sanctuaire du Bouddha royal, bâtissait ou restaurait en les complétant les monuments du Prah Khan, de Ta Prohm, Bantéay Kdei et tant d'autres de moindre importance, dotait le pays de nombreux hôpitaux.
Un tel effort, venant après des luttes sanglantes, ne pouvait qu'épuiser toutes les ressources et les énergies de la nation : aussi dès le début du XIIIe siècle, après la mort du dernier grand roi, le peuple khmer tombait dans l'inertie, et ses princes se laissaient peu à peu dépouiller par leurs voisins thai de leurs anciennes conquêtes, puis de leur patrimoine. Déjà en 1296, le voyageur chinois Tcheou Ta-Kouan signale cette pression grandissante, qui devait provoquer au XVe siècle l'abandon d'Angkor et l'installation des Souverains cambodgiens sur les rives du Bas-Mékhong.
Ce serait sortir du cadre de cette notice que de résumer l'histoire du Cambodge depuis cette époque. La période écoulée entre le XVe siècle et les temps modernes n'a, en effet, presque rien à fournir à l'histoire archéologique proprement dite. La région de Siemreap et de Battambang, qui avait été annexée sans droits par les Siamois, fut restituée au Cambodge en 1907. L'année 1907 n'est pas seulement une date politique importante : c'est depuis cette restitution que les savants et les architectes français, encouragés par les Souverains qui se succédèrent sur le trône, ont pu, par des recherches méthodiques et par une précise anastylose, faire revivre les antiques témoins d'une civilisation glorieuse.
Il semble que la plupart des rois khmers, sans chercher à imposer au peuple leurs croyances personnelles, aient fait preuve d'un large esprit de tolérance. Sylvain Lévi fait d'ailleurs remarquer que les deux religions, étrangères au pays, devaient davantage séduire les milieux aristocratiques en tant que manifestations d'une culture élégante et raffinée qu'elles ne pénétraient profondément les masses. De nos jours encore, à la Cour bouddhique du Cambodge, subsiste une caste de prêtres portant le cordon brahmanique, les «Bakou», qui tout en pratiquant la religion officielle, jouent un rôle important, ont la garde de l'Epée sacrée, et président à certaines fêtes traditionnelles.
Toutefois, cette sorte de fusion des deux cultes n'excluait pas de temps à autre des accès de fanatisme qui se traduisaient par la mutilation systématique des idoles de pierre, bûchées à coups de ciseau ou retaillées sous forme de divinités de la doctrine adverse : c'est ainsi que la stèle de Sdok-Kak-Thom mentionne que «le roi Sûryavarman I dût lever des troupes contre les gens qui arrachaient les saintes images», et qu'au XIIIe siècle une violente réaction çivaïte s'acharna contre les uvres pies de Jayarvarman VII.
S'il est probable qu'au Fou-nan, où les plus anciens vestiges archéologiques relèvent du bouddhisme, cette religion ait précédé le brahmanisme, ce fut sans doute sous la forme du Hinayâna ou Petit Véhicule, mais de langue sanskrite, plutôt que du Mahâyâna ou Grand Véhicule : ce dernier, n'apparaissant d'une façon certaine qu'à la fin du VIIe siècle, devait triompher à l'époque angkorienne parallèlement au brahmanisme officiel, le plus souvent prédominant.
A l'aube du IXe siècle, l'avènement de Jayavarman II, venu de Java et l'établissement de sa capitale dans la région Nord du Grand Lac, devaient marquer l'instauration d'un culte nouveau, qui se perpétua jusqu'au déclin du royaume khmer : celui du Devarâja ou dieu-roi (en cambodgien Kamraten jagat ta râja). Dès lors le véritable dieu n'est autre que le roi, ou plus exactement «le moi subtil du roi ou l'essence de la royauté», résidant dans un linga considéra comme une incarnation du dieu Çiva.
Placé sur un «temple-montagne» ou pyramide à gradins érigé au céntre de la capitale, ce linga devait être adoré au lieu môme de la résidence du souverain, et l'inscription de Sdok-Kak-Thom nous donne la filiation de toute une famille de prêtres qui, pendant plus de deux siècles, fut chargée de veiller à l'observation du nouveau rituel spécialement établi.
Parallèlement existait an Cambodge le privilège de l'apothéose, dont pouvaient bénéficier non seulement le roi, mais certains personnages de haute lignée, parfois même de leur vivant : d'où l'apparition des « noms posthumes» indiquant le lieu de séjour céleste des rois défunts, chacun étant assimilé au dieu de son choix.Par analogie, vers la fin du XIIe siècle, le roi bouddhiste Jayavarman VII, pour assurer la pérennité de ce culte symbolique du Devarâja, n'hésitait pas à instituer au Bayon, temple central d'Angkor Thom, le culte similaire du Bouddha-roi, matérialisé par la statue-portrait que l'on a retrouvée brisée au fond d'un puits et que l'on a pu reconstituer : cette forme d'adaptation ne devait pas avoir de lendemain, et dès le XIIIe siècle, après un retour du çivaïsme, le bouddhisme du Grand Véhicule, de langue sanskrite, était remplacé par le Petit Véhicule, de langue pâli, auquel le Cambodge est resté fidèle.
«Alors que pour les autres groupes humains - nous dit Sylvain Lévi - les sens sont les témoins et les garants irréfutables, pour l'Hindou ils ne sont que des maîtres d'erreur et d'illusion... Le monde des phénomènes, mensonger et haïssable, est régi par une loi fatale, implacable: l'acte est la résultante morale d'une série incommensurable d’actes antérieurs et le point de départ d'une autre série incommensurable d'actes qui en seront les effets indéfiniment transformés... La vie considérée sous cet aspect, apparaît comme la plus effroyable des peines, comme une éternelle perpétuité de personnalités fausses, à prendre et à quitter sans connaître jamais le repos. Le souverain bien ne peut être dès lors que la Délivrance, l'acte sublimé d'où sont éliminées toutes les forces causatives, et qui anéantit à tout jamais pour un système donné la puissance créatrice de i'illusion ».
Tel est le cadre où devaient évoluer les deux grandes religions de l'Inde. Au Cambodge, où elles furent introduites, il parait évident que sous leur forme transcendante elles ne pouvaient toucher qu'une élite, et qu'elles n'ont jamais pénétré profondément les masses : la foule, lorsqu'elle était admise dans les temples, y venait bien moins pour adorer tel ou tel dieu du panthéon hindou que pour se prosterner devant son roi ou ses princes dûment divinisés.
Le Brahmanisme, qui apparaît dans l'Inde plusieurs siècles avant notre ère, dérive lui-même du védisme, basé sur l'adoration des forces et phénomènes de la nature. Son rituel, fixé par les « Brahmana, est fortement teinté de symbolisme et se rattache à un polythéisme particulièrement touffu.Au sommet est la «Trimurti», trinité suprême qui synthétise a les trais états actifs de l'âme universelle et les trois énergies éternelles de la nature : Brahma, l'activité, est le créateur ; Vishnou, la bonté, est le préservateur ; Çiva, l'obscurité, est le destructeur (Madrolle).
Dans l'Inde comme au Cambodge, Brahma, malgré sa suprématie apparente de créateur du monde, n'a jamais été une divinité de premier plan. Il est représenté avec quatre bras et quatre visages opposés deux à deux, symbole de sa domination sur toutes les régions de l'espace, et parfois assis sur un lotus dont la tige sort du nombril de Vishnou dormant sur les flots. Son épouse « çakti ou énergie féminine est Sarasvatî, et sa monture l'oie sacrée ou«hamsa« «dont le vol puissant symbolise l'ascension de l'âme sers la libération » (Paul Mus).Vishnou et Çiva, par contre, sont prédominants. Après avoir été, durant la période préangkorienne, associé à Vishnou dans la même image, par moitié selon un plan vertical, sous le nom de Harihara, Çiva a d'abord nettement prévalu, tandis qu'à partir du XIe siècle et jusqu'à l'époque d'Angkor Vat il se voyait supplanté par l'autre dieu.
Vishnou, protecteur de l’univers et des dieux, est généralement représenté debout, avec un seul visage et quatre bras portant comme attributs : le disque, la conque, la boule et la massue. Son épouse est Lakshmi, déesse de la beauté ; on la voit souvent entre deux éléphants qui, la trompe levée l'aspergent d'eau lustrale. La monture du dieu est l'oiseau solaire Garuda, à corps d'homme, serres et bec d'aigle, ennemi dès sa naissance des nâgas ou serpents, en tant que génie de l'Air contre génies des Eaux.Vishnou, sous forme du brahmane nain Vamana, franchit en trois pas le Ciel, la Terre et les Enfers pour assurer aux dieux la possession du monde. Entre chaque période cosmique (Kalpa), tandis que le monde est en sommeil, le dieu lui-même s'endort, couché sur le serpent Ananta que portent les flots de l'océan. Au réveil il s'incarne à nouveau, homme ou animal, et triomphe des forces du mal, instaurant chaque fois une ère nouvelle : ce sont les «avatars» ou descentes du dieu sur la terre, dont les principaux sont au nombre d'une dizaine.
Sous la forme de la tortue Vishnou participe au fameux épisode dit du «Barattement de la Mer de lait» tiré du Bhâgavata Pourâna et fréquent en iconographie : les dieux et les démons s'y disputent la possession de l'amrita, liqueur d'immortalité, et la tortue y sert de base à la montagne constituant le pivot. En tant qu'homme-lion (Narasimha), Vishnou déchire de ses griffes le roi des Asuras, Hiranaya-Kasipu, qui avait voulu se faire rendre les mêmes honneurs, que le dieu.
Mais ce sont surtout les deux incarnations humaines de Râma et de Krishna qu'ont chantées les poètes de l'Inde, fournissant aux sculpteurs pour la décoration des murs et des frontons une mine inépuisable de sujets. Les deux principales épopées, le Râmâyana et le Mahâbhârata, nous dit Keyserling, «sont pour les Hindous ce qu’a été pour les Juifs chassés de leur pays le Livre des Rois : la chronique des temps où ils étaient grands sur la terre et de plus en rapports quotidiens avec les puissances célestes». Ils raffolent des légendes, car ils a n'ont aucun sentiment de la vérité historique pour eux le mythe et la réalité ne font qu'un. Tantôt la légende est jugée réalité, tantôt la réalité est condensée en légende. Les faits, par eux-mêmes, sont tout-à-fait indifférents».
Krishna reste très humain. C'est grâce à un échange d'enfants qu'il échappe à la mort dès sa naissance, menant une existence bucolique dans la forêt. D'une force herculéenne, il entraîne un pesant mortier de pierre auquel sa mère l'avait attaché, renversant deux arbres au passage puis adolescent d'une grande beauté, séduit bergers et bergères, les protégeant de l'orage, eux et leurs troupeaux, en soulevant d'un seul bras le mont Govardhana. Dans sa lutte contre l'asura Bana, il triomphe, monté sur Garuda, puis, sur la prière de Çiva, lui laisse généreusement la vie.
C'est sur l'intervention des dieux, qui le supplient de purger le monde du démon Râvana, que Vishnou s'incarne en Râma, fils du roi d'Ayodhyâ. Vainqueur d'une épreuve de tir à l'arc où il s'agissait de tuer un oiseau placé derrière une roue en mouvement, il obtient la main de la belle Sitâ, fille adoptive du roi de Mithila. Chassé ensuite par son père, il va, avec son frère Lakshmana, vivre en ascète dans la forêt en compagnie de son épouse : ils y sont en butte aux attaque des râkshasas. Sitâ, d'abord sauvée des mains de l'un d'eux, Viradha, est enlevée par leur roi Râvana, particulièrement redoutable avec ses têtes et bras multiples, qui l'emporte dans l'île de Lankâ (Ceylan), tandis que les deux frères poursuivaient une gazelle enchantée au pelage d'or. Alertés par le vautour Jatayus qui vient d'assister au rapt, ils entreprennent de reconquérir Sitâ, rencontrent le singe blanc Hanuman qui les mène vers son roi Sugrivâ : ils trouvent celui-ci se lamentant dans la forêt pour avoir été dépossédé de son trône par son frère Vélin, et font alliance avec lui. Vélin est tué d'une flèche par Râma au cours de la lutte, et Sugriva à la tête de son armée part à l'attaque de Lankâ.
Hanuman, envoyé en reconnaissance, retrouve Sitâ au bosquetd'açoka où elle est gardée par les râkshasis (démons femelles) et reçoit d'elle un anneau qui prouvera à Râma le succès de son entre-prise. Il repart, non sans avoir incendié le palais de Râvana, et les singes, après avoir construit une digue pour franchir le bras de mer qui les sépare de leurs ennemis, entament la lutte aux multiples épisodes : c'est la mêlée furieuse dominée par le duel entre Râvana, au char tiré par des chevaux à tête humaine et Rama lui-même monté sur un char ou sur les épaules d'Hanuman. Un fils de Râvana, Indrajit, expert en magie, maîtrise Râma et Lakshmana au moyen de flèches qui se changent en serpents et s'enroulent autour d'eux, mais Canula fondant du ciel les délivre. La victoire reste finalement à Râma, qui retrouve la malheureuse Sita ; celle-ci, soupçonnée d'impureté, est soumise à l'épreuve du feu. Innocentée par cette ordalie, elle est solennellement remise par le dieu du feu, Agni, à son époux, qui remonte enfin sur le trône de ses pères (1).
(1) Nous ne saurions trop conseiller la lecture du Râmâyana. Nous voudrions ici donner une idée de tout le charme qui s'en dégage par ce court extrait de la Légende de Râma et Sita, présentée par Gaston Courtillier (éditions Bossard, Paris 1927). Sita supplie son époux de l'emmener dans la forêt:
Si tu pars aujourd'hui pour la forêt impénétrable, ô fils de Raghu, devant toi je marcherai foulant les plantes épineuses... Emmène-moi, héros, sans hésiter, il n'y a pas de mal pour moi. Au faite du palais, sur les chars, à travers les airs, où qu'elle aille, l'ombre des pieds d'un mari passe avant tout. J'ai été instruite par ma mère, par mon père, de tous ces cas. Je n'ai pas besoin qu'on me dise maintenant comment j'ai à me conduire. Oui, j'irai dans la forêt inaccessible, vide d'hommes, pleine de bandes d'animaux variés, l'asile de bandes de tigres. J'habiterai avec bonheur dans la forêt, tout comme dans la demeure de mon père, ne me souciant plus des trois mondes. ne me souciant que de vivre avec mon époux. Toujours obéissante à ta voix, ascétique, soumise. Je trouverai ma satisfaction avec toi, héros, dans les bois aux doux parfums. Tu es en effet capable. ô Rama, de me défendre contre tout dans la forêt ; qu'ai-je affaire ici du reste du monde, ô donneur de gloire? Oui, je marcherai avec toi vers la forêt aujourd'hui, pas de doute ; je ne puis en être détournée, puissant prince, me voici prête. De fruits et de racines je ferai sans cesse ma nourriture, pas de doute ; je ne te procurerai pas de peine demeurant toujours avec toi. Je marcherai devant toi, je mangerai quand tu auras mangé. Je désire extrêmement voir rochers, étangs, cours d'eau, partout sans crainte, sous ta prudente protection. Et les étangs de lotus, remplis de flamants et de canards : si bien fleuris, comme je serai heureuse de les voir avec toi, mon héros, en ta compagnie ! C'est là que je ferai mes ablutions, toujours fidèle à mes voeux. C'est avec toi, ô mes longs yeux, que j'aurai du plaisir au comble de la joie; même pendant cent fois mille années avec toi, je ne connaîtrai pas l'ennui, car même le ciel n'occupera plus ma pensée et même s'il me fallait rester au ciel sans toi, ô Râghava, sans toi, tigre des hommes, je ne m'y plairais pas ! Je m'en irai dans la forêt aux passes difficiles, peuplée de gazelles, de singes, d'éléphants. Je résiderai dans la forêt comme dans la maison de mon père, blottie à tes pieds, respectueuse. Mes sentiments n'ayant pas d'autre objet, mon coeur étant attaché à toi, si je suis séparée de toi, il me faut penser à mourir; allons, emmène-moi, accueille ma demande : je ne te serai pas à charge par la.
Dans la Trimurti, c'est Çiva qui, ayant Drahma à sa droite et Vishnou à sa gauche, doit en définitive être considéré comme la divinité suprême, dont les autres ne sont que l'émanation et le reflet.
- Tantôt - bien plus dans l'Inde qu'au Cambodge où l'on s'abstient de le présenter sous un jour macabre, obscène ou terrible - c'est le grand dévastateur, le génie de la tempête et des puissances destructives, tantôt c'est le dieu tutélaire et bienveillant, le dieu qui féconde et qui crée. C'est aussi le premier des ascètes, qui va nu, le corps frotté de la cendre des feux de bouse, vivant d'aumônes et pratiquant la méditation, source de perfection.
Sous sa forme humaine, il est le plus souvent à un seul visage, avec un troisième oeil placé verticalement au milieu du front, les cheveux relevés en chignon portant le croissant, parfois aussi à têtes multiples. Ses bras sont également en nombre variable, son attribut principal est le trident et son torse est barré du cordon brahmanique. Il règle le destin des mondes par sa danse, au rythme effréné de la tândava . Sa çakti ou énergie féminine est, elle aussi, douce ou féroce : douce, c'est Pârvati, déesse de la Terre, ou Umâ la Gracieuse, que l'on voit fréquemment assise sur ses genoux tandis qu'il trône sur le mont Kailasa ou chevauche le taureau sacré (Nandin), sa monture habituelle ; - féroce, c'est Durgâ la Batailleuse qui, aidée de son lion, terrasse le démon buffle.
Le culte de Çiva n'en est pas moins réservé surtout à sa représentation symbolique, la puissance créatrice figurée par le «linga« : précisons qu'il n'y a pas lieu d'insister sur le caractère phallique de cette image, qui, pour des esprits orientaux, domine de beaucoup les humaines questions sexuelles.
Le linga est un fût cylindrique de pierre soigneusement polie, aux arêtes arrondies au sommet, devenant à la base de section octogonale, puis carrée. C'est, d'après la légende, le fourreau de Vishnou (octogonal), puis celui de Brahma (carré) protégeant la terre du contact (lu pilier sacré qui, descendant (lu Ciel comme une colonne de flamme, serait venu se ficher dans le sol. Seule la partie cylindrique saillit du piédestal, recouvert d'une dalle légèrement creusée (snânadroni) terminée par un bec formant rigole et toujours orienté vers le Nord : le prêtre l'arrosait d'eau lustrale qui, s'épandant alentour, symbolisait pluie et fécondité pour l'ensemble du territoire.
De l'union de Çiva et de Pârvati sont nés deux fils, Skanda, dieu de la guerre, dont la monture est le paon ou le rhinocéros, et Ganeça, dieu de l'initiative, de l'intelligence et du savoir. Très populaire au Cambodge, il est à tête d'éléphant et corps d'homme plutôt obèse, ceint du cordon brahmanique. Le plus souvent assis, il plonge sa trompe dans une écuelle qui repose dans l'une des ses mains, tandis que de l'autre il tient la pointe d'une de ses défenses brisée : sa monture est un rat. La légende nous dit que, beau jeune homme à l'origine, un jour qu'il montait la garde devant la porte de sa mère, il voulut empêcher son père d'entrer : furieux, celui-ci le décapita, mais sur les instances de Pârvati, consentit à ce qu'il s'appropriât la tête du premier être vivant qui se présenterait : et ce fut un éléphant....
INDRA - Ancien dieu supérieur du védisme, Indra est resté la principale des divinités secondaires. Il siège au paradis, sur le sommet du Mont Meru, et, armé du foudre ou vajra , fomente les orages générateurs de pluies bienfaisantes. Sa monture est Airâvata, l'éléphant blanc issu du barattementde la Mer de lait, généralement à trois têtes.
KAMA - Kama, dieu de l'amour, est un bel adolescent à l'arc de canne à sucre et aux flèches de boutons de lotus. Son épouse est Rati et sa monture le perroquet.
YAMA - Seigneur de la loi ou juge suprême, qui préside aux enfers: il est monté sur un buffle ou porté par un char traîné par les boeufs.
KUBERA - Dieu de la richesse, est nain et difforme : commande aux Yaksha » ou Yéaks, géants grimaçants aux yeux proéminents et aux crocs saillants : on les trouve notamment comme dvârapâlas ou gardiens aux portes des sanctuaires, armés d'une massue.
Enfin ce sont d'innombrables demi-dieux, répandus à profusion dans la décoration des temples : entre autres les deva bienfaisants, éternellement en lutte avec les asura, ogres et démons —les apsaras nymphes célestes, dansantes ou volantes, nées du Barattement de la Mer de lait et animant le ciel d'Indra de leurs ébats : ce sont aussi les devatâ des bas-relief lorsqu'elles sont au repos, richement parées et tenant des fleurs — les nâgas, stylisation du cobra polycépale, descendants du Nâgarâja, ancêtre mythique des rois khmers, et génies des Eaux.
Ce serait une erreur de croire que le bouddhisme ancien ait éliminé les différentes divinités du panthéon brahmanique : bien au contraire il les a assimilées pour la plupart, mais en leur affectant un rôle subalterne vis-à-vis du Bouddha : conquête d'ailleurs plus apparente que réelle, et qui devait devenir bientôt dans l'Inde une cause de faiblesse.
«Le Grand Véhicule nous dit Madame de Ceral-Rémusat - développe l'aspect surnaturel du Bouddha ; il l'entoure de tout un panthéon de bodhisattvas ou futurs Bouddhas, puis de Dhyani-Bouddhas ou Bouddhas de Contemplation. A la croyance au Nirvâna, préconisée par le Hinayâna, les mahâyânistes ajoutent une suite infinie de Paradis, «Terres pures » où les âmes renaissent selon leurs mérites ».
Le «Lotus de la Bonne Loi», livre canonique, donne la genèse de la formation de ces bodhisattvas, qui sont les saints de la nouvelle religion : parvenus au seuil même du Nirvâna, par la connaissance, ils diffèrent leur propre délivrance pour se consacrer au salut des autres hommes en les enseignant.
Au Cambodge, c'est Avalokiteçvara ou Lokeçvara, fils spirituel du Dhyani-Bouddha transcendant Amitâbha, dont il porte l'image sur son chignon : il personnifie, comme l'a fait remarquer Paul Mus «la notion de providence, étrangère au bouddhisme primitif». C'est «le Seigneur du Monde», dont émanent tous les dieux, et lui-même dieu de bonté et de miséricorde, accessible à tous les humains, une réplique masculine de Kouen-Yin, autre figure dominante du bouddhisme d'Extrême-Orient. Ses attributions sont parfois comparables à celles de Çiva. Assis ou debout sur un lotus épanoui qui l'élève au-dessus du monde, il a généralement quatre bras - ses attributs sont alors le flacon, le livre, le lotus et le rosaire - mais le nombre en peut varier de deux à six, douze et au delà. Le visage porte souvent l'oeil frontal, et les têtes peuvent être multiples et étagées. Dans l'architecture vivante des tours du Bayon, par ses quatre visages orientés aux quatre points cardinaux, il étend sa protection sur toutes les régions de l'espace.
Lokeçvara est aussi représenté paré de bijoux, ou «irradiant» : une multitude de petits êtres émanent alors de son corps — bouddhas, divinités ou demi-dieux - l'engainant de ce que Louis Finot a pu comparer à une cotte de mailles constituée par des figurines accolées.
Dans la Trinité bouddhique, le Bouddha est assis au centre, entre Lokeçvara et sa forme féminine, la Prajnâpâramitâ ou Tarâ, tous deux debout : celle-ci, la Perfection de Sapience », est elle aussi à quatre bras, avec Amitâbha sur le devant de son chignon.
Toutes les représentations plastiques relevant de la religion bouddhique sont caractérisées par une attitude de méditation : le visage est empreint d'une sérénité souriante et les yeux restent entièrement baissés ou mi-clos.
Le Bouddha, rarement debout ou couché, est le plus souvent assis, les mains faisant un des gestes rituels ou «mudrâ». Debout c'est «l'absence de crainte», les bras le long du corps et pliés au coude, mains dressées, paumes en avant. Assis à l'indienne », les jambes parallèles et superposées et les pieds dans leur prolongement, c'est la méditation », avec les mains à plat dans le giron - ou «la charité », avec la main droite allongée devant la cuisse, paume en-dessus — ou le geste attestant la Terre, de même nature mais paume en-dessous - l'enseignement» enfin, avec les mains ramenées contre la poitrine, un doigt de l'une entre le pouce et l'index de l'autre.
Le Bouddha est vêtu de la robe monastique découvrant l'épaule droite limitée parfois par un simple trait dans la pierre- Le sommet du crâne est marqué par une bosse recouverte par les bouclettes de la chevelure et traitée souvent en véritable chignon : c'est l' usnisha» qui, à l'époque de l'influence siamoise, se termine par une flamme, en même temps que l'ovale du visage s'allonge démesurément. Le lobe de l'oreille est fortement distendu et percé, mais sans bijou.On trouve cependant quelques exemples du « Bouddha paré », portant le diadème et les insignes de la royauté : il est alors considéré comme souverain du monde». Cette conception répond à la légende de Jambupati, un roi qui par orgueil refusait de rendre hommage au Bouddha : celui-ci lui apparaît alors dans toute sa splendeur.
Le bouddha est assis tantôt sur un socle figurant un lotus épanoui, tantôt sur les replis du corps du nagâ Mucilinda, abritant sa méditation sous le déploiement de ses têtes multiples, dressées derrière sa nuque.
Chacun sait que les Bouddhas n'apparaissent sur la terre qu'à de longs intervalles. Le Bouddha historique, Çâkyamuni, fondateur de la religion qui nous occupe, vivait aux VI-Ve siècles avant notre ère et était de haute lignée, fils du roi des Çâkya et de la reine Mâyâ-Devi ; son nom était Siddhartha.
Ses parents, à qui l'on avait prédit son sort futur, voulant l'en détourner en lui évitant tout contact avec les réalités de la vie, lui faisaient mener à l'intérieur du palais une existence toute de plaisirs.
Marié déjà et père d'un enfant, il découvrait bientôt, au cours de promenades, l'existence de la décrépitude, de la souffrance et de la mort par la vue d'un vieillard, d'un malade et d'un cadavre ; la rencontre d'un ascète achevait de le décider à quitter le monde.
S'enfuyant une nuit du palais en abandonnant sa famille et tous ses biens, il menait dès lors la vie errante des ermites, devenait le disciple des brahmanes, mais devant la vanité de leur enseignement, s'adonnait bientôt aux pratiques de l'ascétisme le plus sévère. Affaibli par cette épreuve et sentant qu'elle ne le rapprochait pas du but, il renonçait aux macérations outrancières, s'engageait dans la «voie moyenne et, par la seule puissance de la méditation, échappant à la tentation et au déchaînement des forces du mal, parvenait enfin à l'illumination et à la qualité de Bouddha.
Renonçant à entrer aussitôt dans le Nirvâna et connaissant désormais l'enchaînement des causes et des effets et la voie qui conduit à l'anéantissement de la douleur, il décidait de «faire tourner la Roue de la Loi» en prêchant sa doctrine : enseignement qu'il devait pratiquer pendant 44 ans et poursuivre jusqu'à sa mort
Les principaux épisodes représentés au Cambodge par les sculpteurs sont : le Grand départ», où, accompagné de son fidèle écuyer Chandaka, le futur Bouddha quitte son palais sur le cheval Kanthaka, tandis que les quatre Lokapâlas ou gardiens du monde » amortissent de leurs mains le bruit de ses sabots — la «Coupe des cheveux », tranchés d'un coup d'épée lors du renoncement à la vie du monde —«Offrande des animaux dans la foret», l'Offrande de Sujâtâ», jeune fille qui apporte au sage un bol de riz, l’ Offrande des Lokapâlas», dont il réunit les quatre bols en un seul pour montrer qu'il ne fait aucune différence entre leurs dons — la «Soumission de l'Eléphant Nâlâgiri», enivré par les ennemis du Bienheureux et rendu furieux — la «Méditation sous l'arbre de la Bodhi en l'espèce le banyan ou «ficus religiosa — l’ Assaut de Mira» et de son armée de démons, que la Terre, prise à témoin des mérites acquis par le saint ascète, extermine en les noyant dans le flot jailli de la torsion de ses cheveux, symbole de l'abondance des libations offertes dans le passé — la «Tentation charnelle» par les filles de Mâra, parées de toutes les séductions.
La mort et l'entrée dans le Nirvâna sont traduites par la représentation du Bouddha couché sur le flan droit, l'un de ses bras collé au corps et l'autre replié sous la tête. Enfin les fidèles adorent encore aujourd'hui des empreintes du pied du Bouddha, dont les stries, gravées de signes variés, entourent l'emblème central de la roue ou « chakra ».
Le fait que Tcheou Ta-Kouan, dans la relation de son voyage, ne mentionne pas que le palais royal ait été construit en pierre alors qu'il l'indique pour les autres monuments, tendrait à prouver qu'il était fait de matériaux légers, comme tous les locaux à usage d'habitation.« Les tuiles des appartements privés, dit-il, sont en plomb, celle des autres bâtiments sont en terre et jaunes... Les longues vérandas, les corridors couverts sont hardis et irréguliers, sans grande symétrie... Les habitations des princes et des grands officiers ont une autre disposition et d'autres dimensions que les maisons du peuple. Tous les communs et logements excentriques sont couverts de chaume ; seuls le temple de famille et l'appartement privé peuvent être couverts en tuiles. Le commun du peuple ne couvre qu'en chaume et n'oserait employer les tuiles».
Il est acquis que les édifices de pierre que nous voyons à Angkor et dont le schéma architectural obéit à des règles rigoureuses et constantes d'ordonnance et de symétrie, répondaient à des fins monumentales. Satisfaisant seuls au concept de pérennité, imprégnés de symbolisme, ils constituaient l'armature de la capitale et des agglomérations suburbaines faites de matériaux périssables : armature incontestablement religieuse, puisque chacun de ses éléments n'est qu'une floraison de sanctuaires répondant à la multiplicité des dieux et des personnages divinisés : rien d'autre que ces saintes demeures n'était jugé digne de survie.
Les monuments de pierre sont des temples en tant que monuments élevés en l'honneur de divinités. Leur nombre et leur importance peuvent nous surprendre et paraître hors de proportion avec la superficie occupée par la ville et ses faubourgs, comme avec la densité de la population, quelle qu'ait été la ferveur religieuse des Khmers. C'est qu'avec notre mentalité d'Occidentaux nous sommes naturellement portés à voir-en tout édifice réservé au culte l'équivalent de nos églises et de nos cathédrales. Celles-ci, répondant à un besoin de foi général, aux sentiments de piété de la masse, étaient l'oeuvre de tout un peuple, qui s'y réunissait pour prier et pratiquer les rites.
Les temples khmers, au contraire, n'étaient pas des lieux de culte public : oeuvre personnelle des rois ou d'une aristocratie, ce n'étaient que des fondations pieuses destinées dans l'esprit de leurs auteurs à accumuler des «mérites» qui pouvaient d'ailleurs rejaillir sur tous les participants.
Ces réalisations grandioses, obtenues à force de prestations qui sans doute n'étaient pas toujours volontaires, absorbant une bonne part de l'activité de tout un peuple et le vidant jusqu'à la moelle en s'ajoutant aux charges militaires, l'écrasant d'impôts et d'obligations de toute nature, paraient chaque règne d'un nouveau fleuron. Mais si, grâce à cet effort gigantesques le culte du dieu-roi et de tous ceux qui avaient mérité l'apothéose pouvait se dérouler dans ua cadre digne de lui la foule n'était pas admise à honorer ses dieux au sein même de leurs demeures, réservées aux officiants. Avides en tout temps des cérémonies traditionnelles dont parlent les inscriptions, tes fidèles, groupés dans les enceintes extérieures, se prosternaient au passage des idoles et des reliques momentanément offertes par les prêtres à leur adoration, déambulaient en procession dans le sens rituel du e pradakshinâ », qui garde toujours à sa droite l'emplacement sacré, ou le sens inverse du «prasavya» réservé aux cortèges funèbres.
Dans le Cambodge actuel, les monastères ou pagodes» bouddhiques comprennent, outre le vihâra» ou temple entouré de «sema» (bornes sacrées), une salle publique de réunion beaucoup moins monumentale et les logettes réservées aux bonzes : il est permis de supposer qu'autour du temple de pierre de la période angkorienne existait la même cité de modestes habitations et de locaux destinés aux assemblées des moines comme aux laïcs pour les pratiques ordinaires du culte. Tcheou Ta-Kouan, parlant des bonzes qui «se rasent la tête, portent des vêtements jaunes et se découvrent l'épaule droite» tout comme aujourd'hui, mentionne que «leurs temples peuvent être couverts en tuiles, que l'intérieur ne contient qu'une image, tout-à-fait semblable au Bouddha Çakyamuni ; elle est vêtue de rouge. Faite d'argile, on l'orne de vermillon et de bleu : c'est la seule image des temples. Les Bouddhas des tours sont au contraire différents». Ce texte confirme le caractère ésotérique des monuments de pierre et leur destination culturelle.
M. Coedès, se basant sur les dernières découvertes épigraphiques, n'a pas hésité à déclarer «que les principaux temples, ceux qui ont une origine royale, sont des temples funéraires, des mausolées, et, dans une certaine mesure des tombeaux, si l'on admet que des cendres y aient été déposées sous la statue représentant le défunt sous l'aspect divin. Il ne s'agit pas de temples publics ou de lieux de pèlerinages, mais des dernières demeures où les souverains du Cambodge trônaient sous leur aspect divin, comme dans un palais». La mise au jour dans plusieurs édifices de cuves de pierre qu'il assimile à des sarcophages, l'a finalement amené à conclure que les monuments d'Angkor étaient à la fois des temples et des mausolées, «dernière demeure d'un être qui jouissait, dès son vivant, de certaines prérogatives divines, et que la mort avait achevé d'assimiler à un dieu --palais funéraire dans lequel reposaient ses restes mortels, mais où se dressait aussi sa statue le représentant sous les traits d'un dieu».
Dans l'état actuel de nos connaissances, nous pensons qu'il est raisonnable de nous en tenir à cette double affectation, mais en faisant prédominer nettement la notion de panthéon sur celle de nécropole.
En chaque monument d'Angkor se retrouvent des préoccupations d'ordre symbolique visant à en faire une représentation réduite de l'univers : étagement de terrasses figurant le Meru, demeure des dieux, chaînes de montagnes de ses enceintes, océans de ses douves, réalisant une sorte de maquette dûment orientée.
L'astrologie était à la base de toute implantation qui répondait à des fins magiques. L'architecte, aidé du prêtre ou prêtre lui-même, se livrait lors du choix de son emplacement à une véritable «interprétation de l'espace», et c'était face aux quatre points cardinaux qu'il érigeait son édifice à quatre portes, l'Est demeurant, à de rares exceptions près, la direction maîtresse et les diagonales du carré joignant les points collatéraux.
Cette prédominance de l'Est, sorte de glorification du soleil levant, peut être considérée comme la survivance du culte solaire en honneur dans toutes les anciennes civilisations, et qui, le prenant à son lever en son maximum de puissance qui correspond au solstice d'été, le suit durant toute sa course de lumière : l'ambulation rituelle du pradakshinâ selon le pourtour du temple ne serait autre que le traduction vivante de ce périple. Certaines recherches savantes toutes récentes tendraient même à prouver que le choix de la situation respective de la plupart des monuments d'Angkor correspondrait à une sorte de jalonnement de la trajectoire solaire selon des alignements solsticiaux.
Le temple-type de l'architecture khmère est le « temple-montagne », dont les gradins superposés en nombre variable et suivant une loi de réduction proportionnelle constante, auraient pour enveloppante une pyramide. C'est une répliquede l'ancienne «ziggurat» mésopotamienne, la Tour de Babel ou «Porte du Ciel», conception qui se retrouve dans la pyramide aztèque. C'est le Mont Céleste on Meru, érigé selon l'axe du monde (lequel est souvent accusé par un profond puits central) servant de piédestal à l'idole du dieu-roi : symbole d'élévation depuis la base où le fidèle se prosterne et prie, jusqu'au faite où l'officiant s'adresse directement aux dieux et où siège l'âme même du souverain divinisé.
Tantôt la pyramide est couronnée d'un sanctuaire unique, tantôt d'un quinconce de tours évoquant les cinq sommets du Meru ; parfois aussi d'autres édicules en garnissent les gradins. Dans tous les cas, des enceintes carrées ou rectangulaires viennent enclore à la base les bâtiments secondaires — les cycles de montagnes entourant le mont cosmique et séparés par des mers, représentées ici par des bassins-fossés. Le double principe de l'étagement et des enceintes successives est chez les Khmers à l'origine de toute réalisation architecturale.
Bien des fois cependant, principalement dans les monuments de moindre importance de la période préangkorienne ou des débuts de l'art classique, l'idée d'élévation s'exprimait par le simple exhaussement des bâtiments sur une terrasse, où se présentaient comme sur un plateau tantôt un sanctuaire isolé, tantôt un ou deux alignements de tours.
Vers le début du XIe siècle, l'apparition des galeries couvents joignant entre eux les sanctuaires des angles ou pourtournant le groupe central, coupées par des pavillons d'entrée ou «gopura« selon les quatre axes, constituait des préaux intérieurs et accentuait le caractère privé des édifices du culte : souvent même d'autres galeries sur piliers, avec ou sans bas-côtés à demi-voûte, partageaient la cour en quatre secteurs, ou bien, accusant seulement la direction de l'Est, s'élargissaient en salles longues accolées au bâtiment principal, flanquées de part et d'autre d'édicules dits «bibliothèques«, ouvrant à l'Ouest.
Peu à peu, principalement au moment de l'extension du bouddhisme, qui pousse à la vie conventuelle, le temple devenait monastère, le même système de cloîtres fermés par des galeries se répétant en chaque enceinte concentrique. Le plus souvent le dispositif à étagements faisait place à celui d'un ensemble réglé de plain-pied où la notion d'élévation n'était plus figurée que par la succession des galeries séparatives et la prédominance du sanctuaire central. L'axe Est Ouest s'accusait de plus en plus, devenait une enfilade presque ininterrompue de salles et de vestibules, voie sacrée vers le coeur du monument. Dans les derniers grands ensembles tels que Ptah Khan et Ta Prohm, un foisonnement de constructions-annexes venait encore compliquer le plan, qui ne gardait plus rien de sa belle simplicité primitive : mus par un véritable sentiment d' «horreur du vide«, les Khmers accumulaient les rajouts et ne savaient plus voir grand.
Longtemps les manuels d'histoire de l'art le passaient sous silence, et ceci en cette seconde moitié du XIXe siècle qui s'est révélée comme l'une des périodes les plus pauvres en réalisations architecturales de qualité. Dans les milieux cultivés on admirait davantage l'effort ornemental et d'incontestables réussites de détail que la valeur des ensembles, et l'art khmer était tenu pour un art mineur, à la remorque de celui de l'Inde ; un grand poète comme Paul Claudel ne voyait dans les tours d'Angkor Vat que cinq ananas de pierre frangés de flammes.
Cette incompréhension venait à la fois d'une connaissance insuffisante des grands monuments d'Angkor et de l'habitude bien occidentale de rapporter toute chose à ses propres sentiments. L'esprit français pour sa part est épris de raison, de logique et de vérité, soucieux de la technique et de la valeur intrinsèque de chaque forme : il tend d'autre part à instituer une sorte de hiérarchie de l'art.
En Orient, au contraire, la perfection importe peu. Le corps architectural est à base d'expression spirituelle, et le temple angkorien, fait de conventions et de symboles, n'est que la traduction d'une idée, d'une force supérieure aux simples préoccupations de l'esthétique. C'est, matérialisé dans la pierre, le panégyrique du dieu-roi sous forme de cantate à trois voix - mage, architecte et sculpteur : c'est une oblation.
Si nous nous plaçons au point de vue de l'architecte, fort de l'inexorable épreuve du temps, nous sommes fondé à reconnaître que les Khmers, en bâtissant Angkor Vat, en aménageant la place royale d'Angkor Thom et l'admirable perspective de Prah Khan, de son allée de bornes et du lac de Néak Péan, en creusant les deux Barai et le Srah Srang, ont prouvé qu'ils connaissaient l'art des belles ordonnances et réalisé un ensemble unique dans le monde entier. C'est une suite de bonheurs préludant aux conceptions d'un Le Nôtre et des grands urbanistes des temps modernes. Angkor Vat, comparable aux plus vastes compositions des temps passés, répondant à toutes les exigences d'un «parti de plan mûrement établi, atteint à la perfection classique par la sobriété monumentale de ses éléments dûment équilibrés, et la conscience exacte des proportions ; c'est une Ref : uvre de puissance, d'unité et de goût.
Le conformisme de l'art khmer est indéniable : l'Inde est à l'origine, mais son action est plus fécondante que créatrice. Par elle se sont imposés l'idée directrice et le cadre, des traditions des contraintes ; mais en faisant siennes toutes ces recettes» le Khmer y a mêlé sa propre substance et, dans l'exécution, a gardé un rôle capital. Le constructeur des temples hindous n'a pas le respect da schéma architectural et se laissant emporter par la fièvre plastique, empâte sa composition, déconcerte par l'outrance du décor. Le sculpteur khmer au contraire garde le sentiment de la mesure, et, travaillant toujours en taille directe sur des pans de murs préalablement bâtis, se soumet à la discipline imposée par l'architecture, accuse l'idée-maitresse et souligne les formes par le réseau de ses moulures et de l'ornemention au lieu de nuire à leur pureté ; il ne donne libre cour à sa fantaisie et à sa verve que dans le détail, souvent infime.
Par l'Inde sont venus aussi quelques thèmes de la Grèce et de Rome, d'Égypte et d'Assyrie, des réminiscences d'art arabe ou français du moyen-âge ; ailleurs ce sont des inspirations venues de Chine, et, par une sorte de prescience, jusqu'à certains éléments que l'on retrouve dans les styles renaissance, baroque ou rococo.
Malgré les influences subies, l'art khmer n'en garde pas moins, nous l'avons dit, une forte personnalité ; elle apparaît jusqu'en ses insuffisances, ses pauvretés ou ses défauts, ou ce que nous jugeons comme tels en notre mentalité d'Occidentaux. S'il serait injuste de lui tenir grief d'un manque de spaciosité intérieure qui nous choque mais reste inhérent à la nature même des bâtiments, nous ne pouvons nous empêcher d'être rebutés par l'absence de vérité d'édifices qui, répondant à de pures spéculations de l'esprit, dépassent rarement le stade de l'apparence et de l'impression ressentie.
Le plus souvent l'extérieur ne donne qu'eue idée imparfaite, sinon mensongère, de la structure interne : étages fictifs — proportions truquées -- notion de la nécessité de l'arc, mais appareillé comme un mur et défiant les lois de la pesanteur — envolées d'ogives barrées par des plafonds de bois à hauteur de corniche — débauche d'escaliers trop raides qu'il faut gravir à quatre pattes, les pieds posés de biais — discordances entre le plan et la façade --- simili voûtes, fausses-portes et baies murées — assemblages et coupes de pierres relevant de la technique du charpentier... Ce manque de sincérité dans les moyens d'expression, l'Asiatique ne s'y arrête pas, n'en souffre pas ; nous aurions mauvaise grâce à nous montrer plus exigeants que lui et à troubler par ces misères notre juste appréciation de l'ensemble.
Toute l'architecture khmère repose sur les notions d'axe et de symétrie, impliquant nécessairement la répétition des éléments.
L'élément fondamental est la tour-sanctuaire ou prasat », abritant l'idole en sa cella de plan carré. Dûment orientée, elle communique avec l'extérieur parfois par deux ou quatre portes, plus souvent par une seule baie ouvrant à l'Est, les autres faces étant murées de fausses portes. Le plan peut devenir cruciforme par l'adjonction d'avant-corps formant vestibules, qui apparaissent vers la fin du Xe siècle.
Des perrons d'axe, généralement précédés d'une marche décorative dite en accolade», accèdent au prasat, édifié sur un socle pouvant reposer lui-même sur un terrasson.
L'étage principal, couronné d'une corniche, a ses piles d'angle à simple ou double redent sculptées ou non de divinités dans des niches. Chaque porte est cantonnée de colonnettes portant linteau, bordées elles-mêmes de pilastres surmontés d'un fronton. Au-dessus, des étages fictifs, presque toujours au nombre de quatre, reprennent le principe de réduction proportionnelle des temples à gradins, avec répétition des mêmes éléments qu'à la base, tandis qu'à l'intérieur les assises de pierre disposées en encorbellement constituent une sorte de cheminée à ressauts, que cachait d'ailleurs un velum ou plafond de bois. Un motif de couronnement à pétales de lotus ferme le tout, d'où saillissait une hampe de métal trident?.
A chacun des ressaute d'étage, la silhouette extérieure s'anime d'antéfixes qui sont souvent aux angles des maquettes de prasat : ainsi la tour-sanctuaire trouve-t-elle- en elle-même son propre décor, affirmant son caractère de temple en réduction.
Les tours à quatre visages de l'époque du Bayon (fin du XIIe siècle) sont une simple variante du prasat.
Les galeries pourtournantes réunissant les prasats constituent les enceintes successives, que l'on a coutume de numéroter en partant du centre du monument. Simples elles sont bordées de deux murs dont l'un peut être plein, et éclairées par des baies libres ou garnies de balustres tournés, toujours en nombre impair. Au-dessus de la corniche, elles sont couvertes en forme de voûte à section ogivale plus ou moins surbaissée, masquée intérieurement par un plafond de bois. L'extrados, crêté d'une ligne d'épis ou de petites niches décoratives, imite fréquemment les bombements parallèles de la toiture en tuiles à canaux, terminés par un rang de pétales de lotus.
Formant cloître les galeries peuvent aussi s'ouvrir plus largement sur une face en remplaçant le mur par un alignement de piliers ; ce dispositif, qui n'apparaît guère qu'au début du XIIe siècle, s'adjoint bientôt une seconde rangée de piliers formant bas-côté, couvert en demi-voûte, avec poutre (étrésillon) joignant les points d'appui. Dans les galeries axiales tout mur disparaît, et le passage central est à double bas-côté.
Lorsqu'elles ne sont pas limitées par des galeries, les différentes enceintes sont marquées par de simples murs à chaperon. Dans tous les cas il existe sur chaque axe un pavillon d'entrée ou a gopura s dont le corps central, de plan généralement cruciforme, s'accompagne fréquemment de vestibules, de porches, d'ailes latérales et d'entrées secondaires, prenant dans certains cas un développement considérable, surtout sur la face réservée au passage principal. Extérieurement ces gopuras se silhouettent sous forme d'une ou de trois tours comparables à celles des sanctuaires, ou d'une croisée de nefs à quatre pignons traités en frontons.
Quelques temples présentent, reliés au sanctuaire central par un vestibule de jonction, une salle longue voûtée avec avant-corps à l'Est, les parois latérales étant elles-mêmes percées d'une porte encadrée par des fenêtres ; ce dispositif se retrouve dans les monuments de l'inde.
Dans la partie orientale de la première enceinte, de part et d'autre de l'axe principal, deux bâtiments de même nature, ouvrant seulement à l'Ouest à l'inverse des sanctuaires et faiblement éclairés par des fenêtres gisantes, reçoivent le nom de bibliothèques . Bien qu'une inscription, trouvée au Prasat Khna semble justifier cette appellation, ces bâtiments, dont l'implantation est certainement rituelle, doivent plutôt, à notre avis, représenter des sortes de sacristies où se trouvaient enfermés, outre les livres sacrés, les divers objets du culte. Lorsqu'il n'existe qu'une de ces bibliothèques, elle se trouve du côté Sud.
Bien que le plan intérieur soit simplement rectangulaire, l'extérieur donne l'impression d'une nef à double bas-côté, une fausse demi-voûte recouvrant la majeure partie de l'épaisseur des murs, surmontée d'un étage d'attique fictif. Le berceau de la voûte se termine par des frontons.
A l'intérieur de la dernière enceinte des temples importants de la fin du XIIe siècle, du côté de l'Est, — on en voit un au Nord de l'axe principal à Prah Khan et à Ta Prohm - des bâtiments, plus larges que de coutume grâce à un système audacieux de voûtes à double courbure, servaient de gîtes d'étape avec du feu. Longtemps appelés dharmaçâlâ, ils sont mentionnés par Tcheou Ta-Kouan : sur les grandes routes, il y a des lieux de repos analogues à nos relais de postes. L'inscription de Prah Khan parle de 121 gîtes d'étape jalonnant les anciennes chaussées du royaume, dont 57 d'Angkor à la capitale du Champâ (chaussée de l'Est, passant par Deng Méaléa et Prah Khan de Kompong Svay) ce qui correspond à des relais espacés de 12 km 500 en moyenne.
En dehors de ces trois types particuliers de bâtiments, on trouve dans les enceintes successives toute sorte de constructions dont le caractère utilitaire s'affirme par la nature des maçonneries et surtout les toitures de tuiles sur charpente en bois, dont on retrouve les vestiges. C'étaient principalement, sur tout le pourtour, une suite de salles longues ou galeries, lieux d'habitation ou de retraite pour les desservants — la foule des laïcs attachés au service du temple étant sans doute logée dans des paillotes aux alentours — magasins et dépôts, abris pour les fidèles.
Chaque temple en principe était entouré d'une ceinture de bassins-fossés qui, nous l'avons dit, représentait l'océan de ce microcosme ; ce pouvait être aussi un efficace moyen de défense. Au droit de l'entrée principale, ou même sur plusieurs axes, des lions ou dvârapâla armés de massues faisaient office de gardiens, puis, franchissant les douves; une large chaussée dallée s'étendait, parfois, sur plusieurs centaines de mètres, bordée de nâga-balustrades sur dés — motif essentiellement khmer — coupée de perrons latéraux, accompagnée parfois d'une vaste terrasse cruciforme propre aux cérémonies et danses rituelles, encadrée de pièces d'eau ; ailleurs, c'était une allée de bornes décoratives menant à quelque barai»
Il est de fait que les Khmers, spécialisés de tout temps dans l'architecture en bois, où ils se montraient fort habiles, ont fait preuve dans l'art de bâtir en dur de touchantes incapacités techniques, ignorant jusqu'aux rudiments de la stéréotomie. Trop souvent les blocs de pierre n'étaient ni équarris ni réglés en hauteur par assise, et les joints verticaux, filant du haut en bas d'un édifice sans aucun chevauchement, comme aux tours du Bayon, créaient de véritables plans de rupture. La masse des gros murs n'était pas homogène, le corps principal étant revêtu d'un parement simplement accolé, souvent fort mince et fait d'un matériau différent. Les porches ou galeries à larges travées voyaient tout le poids des frontons ou des voûtes réparti sur de longues architraves monolithes reposant sur les piliers et qui, presque invariablement, se brisaient sous l'excès de la charge.
Partout les erreurs et malfaçons sont flagrantes, sans que les corrige aucun chaînage autre que quelques ancrages d'une pierre à l'autre, en certains cas critiques, au moyen de fers plats en double té. Des encorbellements excessifs et l'emploi d'un matériau mixte dans la construction des voûtes, comme l'usage-aux Xe-XIe siècles de poutres de bois doublant les linteaux de grès, ont provoqué maints éboulements. Constamment la pierre est traitée comble le bois, avec les mêmes assemblages, et sans tenir compte du fait qu'elle ne peut travailler à la traction.Et pourtant l'ensemble a tenu, malgré les injures du temps et du climat. Tous ces défauts qui nous troublent ou soulèvent notre réprobation, les Khmers, en tant qu'Orientaux peu soucieux des pauvretés de détail, les toléraient sans que leur oeil ni leur esprit en tussent choqués ; leur appréciation générale sur la qualité de l'uvre ne s'en trouvait certainement pas modifiée.
Les temples anciens du Cambodge sont construits soit en grès soit en briques, plus ou moins combinés avec la latérite.
- Le grès - En cambodgien thma phok ou pierre de boue — de couleur variable, est à l'exception du grès rose, particulièrement dur, employé notamment à Bantéay Srei, une pierre tendre et peu résistante. Le grès gris surtout, qui domine, se décompose et devient friable sous l'action des agents atmosphériques, se brise sous l'effort des racines et, souvent posé en délit, se dégrade par lamelles : il garde rarement l'intégrité de ses profils et de son décor, ses faces nettes et ses arêtes vives. Son poids est de deux tonnes à deux tonnes et demie au mètre cube.
D'importantes carrières à ciel ouvert ont été retrouvées à flanc de coteau entre le temple de Beng Méaléa et l'extrémité Sud-Est de la chaîne du Phnom Kulen, à une quarantaine de kilomètres d'Angkor. Le transport devait se faire partie par voie d'eau, partie à l'épaule ou par halage sur rouleaux : les trous ronds de quelques centimètres de diamètre et de profondeur que l'on voit plus ou moins régulièrement répartis dans les monuments sur la plupart des blocs étaient sans doute destinés au logement de chevilles en bois serrées par des liens végétaux, ou des ergots métalliques de sortes de louves, dispositifs permettant les différentes manipulations de la pierre eu cours de la mise en uvre. Ces trous, en qui la légende voit les empreintes des doigts d'Indra, étaient obturés par la suite au moyen de tampons de grès taillés à la demande ou de bouchons de mortier.
Le grès, employé avec parcimonie au début et presque uniquement pour les motifs d'entourage des baies et les fausses-portes, devait fournir peu à peu la totalité des éléments de la construction, à l'exception toutefois des blocages intérieurs de murs épais, des bâtiments à caractère utilitaire et de certains dallages.
- La brique, utilisée dans tous les édifices d'art primitif, puis dans de nombreux temples de la première moitié de la période classique (IX- X siècles), était fabriquée sur place et fort bien cuite, au point de pouvoir supporter la ciselure et d'être employée dans l'établissement de voûtes à encorbellements successifs. Son moule était variable, pouvant aller de 22 x 12 x 4 à 30 x 16 x 8,5 centimètres et même au-delà. Généralement d'un rose pâle, il semble qu'en élévation elle ait été laissée rarement apparente, étant de préférence recouverte d'un enduit au mortier à base de chaux : c'est dans la pâte de ce dernier qu'était sculpté le décor, sur fond de briques préalablement dégrossi en cas de forts reliefs.
- La latérite ou bai kriem (riz grillé) est une pierre poreuse, d'un ton brun-rouge, qui présente certaines analogies avec notre meulière. Abondante dans le sous-sol de la partie méridionale de la péninsule indochinoise, elle se taille facilement au sortir de terre et durcit à l'air malheureusement certains blocs subissent une décomposition qui les rend friables, ce qui n'a pas manqué de provoquer bien 'des éboulements.
Matériau de remplissage, la latérite, qui supporte le travail de mouluration, a été aussi employée dans la construction des murs de soutènement de temples à gradins, des bâtiments utilitaires, des piles de ponts, des murs d'enceinte et des dallages de cours.
- Le bois, choisi, parmi les essences les plus dures, servait, même dans l'architecture monumentale de la période classique, à l'édification de certains éléments extérieurs légers se combinant avec la pierre.
A l'intérieur des bâtiments on en faisait des poutres de soutien ou de doublure, des charpentes de toits, des portes à pivots à deux vantaux — dont l'emplacement des crapaudines reste souvent visible dans les pierres de seuils — des dais abritant les idoles, des panneaux de revêtement de murs et plafonds richement sculptés : quelques vestiges de ces derniers, ornés de fleurs de lotus épanouies, plus ou moins rongés par l'humidité et les termites, étaient encore en place à Angkor Vat lors des travaux de déblaiement, et des fragments de poutres subsistent dans ce temple comme en plusieurs autres monuments.
- Les tuiles des toitures des bâtiments-annexes, dont on a retrouvé au cours des fouilles de nombreux spécimens, étaient d'excellente qualité. En terre cuite ordinaire ou vernissées, avec talons d'accrochage, elles étaient de deux sortes : les unes plates à rebords formant canaux, les autres courbes formant couvre-joints. C'est le type de couverture dit en tuiles romaines. Le faîtage était marqué d'une ligne d'épis, et, au bas de chaque versant, des tuiles d'about se retroussaient en pétales de lotus ou autres motifs à décor.
- Les fondations - Les monuments d'Angkor étant construits sur un sol résistant de sable argileux, les fondations étaient réduites à leur plus simple expression : une ou deux assises de latérite, reposant parfois sur une couche de pierraille pilonnée. Peu de tassements se sont produits ; sauf sur quelques parties en remblai.
- Les soubassements - Ils existent partout, souvent unis et couronnés d'un simple bandeau en tant que murs de soutènement des gradins d'une pyramide — abondamment moulurés et ornés comme soubassements de terrasses portant ou non des constructions : ils deviennent alors un des éléments les plus remarquables de l'architecture.
Le soubassement khmer a ceci de particulier qu'il reste indépendant du mouvement d'expansion verticale du bâtiment qu'il porte : c'est une base, un plateau, dont émerge comme de la terre même le Meru céleste, c'est la composante horizontale du système. Celle-ci s'affirme par la mouluration qui possède un axe de symétrie horizontal schématisé par un bandeau médian entre deux doucines opposées. La symétrie s'exprime jusque dans le détail de l'ornementation, où seuls les rangs de pétales de lotus sont invariablement tournés vers le haut.- Les murs - Qu'ils fussent en grès, en brique eu en latérite, les murs étaient à joints vifs, sans interposition de mortier : pour la brique seule une sorte de colle végétale dont la formule reste inconnue venait renforcer la liaison.
Dans une architecture où toutes les phases du travail de mouluration et de sculpture se déroulaient sur une maçonnerie déjà montée, il importait de se rapprocher le plus possible du monolithe par l'adhérence parfaite des lits et des joints verticaux, rigoureusement dressés et rendus filiformes. Ce résultat était obtenu au moyen du rodage de chaque bloc par frottement contre les pierres en contact tant de l'assise précédente que de celle en cours de pose : un bas-relief du Bayon (galerie intérieure, face Ouest, moitié Sud) donne des indications précieuses sur le détail de cette opération.
L'épaisseur des murs est essentiellement variable, mais toujours très supérieure aux limites imposées par la résistance des matériaux ; des largeurs d'un mètre à un mètre cinquante ne sont pas rares, et il n'y a guère que les murs de clôture à être construits en parpaings.
Il est vrai que fréquemment un même mur, d'aplomb sur sa face interne du sommet à la base, correspond extérieurement aux décrochements d'éléments fictifs ; d'autre part chacun n'est le plus souvent que la juxtaposition d'un parement et d'un blocage, ce qui en diminue la cohésion.
Il est à remarquer que les cadres des portes ménagées dans les murs de façade ou de refend, et dont les éléments sont traités à assemblages droits ou d'onglet comme le bois, ont toujours leur traverse basse en saillie sur le dallage : l'existence de ces seuils élevés, qui rend la visite des temples si fatigante, devait correspondre à l'idée d'accuser le caractère d'espace clos de chaque cellule et d'augmenter le nombre des sanctuaires en compartimentant à l'extrême les galeries, plutôt qu'à des nécessités d'ordre technique.
- Les escaliers - Le temple à gradins est l' «escalier du ciel : peut-être ce symbole suffisait-il à justifier le côté abrupt de pentes aménagées sous un angle de 45° à 70°, à moins que les degrés de pierre fussent une simple réplique des échelles de meunier des habitations de bois, où l'absence de contremarches permet au pied de se poser quelle que soit la raideur.
Quoi qu'il en soit, les dimensions respectives de la marche et de le contremarche sont inversées par rapport à celles de chez nous, et ce dispositif — où l'escalier, se présentant toujours de front encastré dans le soubassement et sans paliers intermédiaires, transforme la montée en véritable escalade — confirme qu'il n'était pas destiné aux évolutions d'une foule, mais seulement à l'usage de quelques officiants. Du point de vue monumental l'avantage est certain : le carré de la base n'ayant pas à s'étaler démesurément en surface, l'édifice entier se dresse vers le zénith dans un élan qu'on ne retrouve nulle part ailleurs.
— Les voûtes — Le problème de la voûte conditionne l'un des aspects du temple khmer, comme d'ailleurs de toute architecture religieuse d'inspiration hindoue : c'est l'absence de toute grande salle, inutile puisqu'il n'y a lieu d'abriter aucune assemblée de fidèles.
Seule la voûte à claveaux autorise de grandes portées : pratiquée depuis l'antiquité dans les pays occidentaux, elle était connue jusqu'en Chine. Il peut donc paraître extraordinaire gue les Khmers du IXe au XIIIe siècle l'aient ignorée, alors qu'ils employaient l'appareil à joints rayonnants dans des revêtements de puits circulaires, par exemple au Mébôn occidental. Peut-être faut-il voir plutôt dans cette abstention quelque raison rituelle, ou le respect du dicton hindou que nous rapporte Henri Parmentier : «les voûtes appareillées n'ont pas de repos, seules les voûtes encorbellées dorment ...
La voûte khmère, qui ne donne point de poussée sur ses points d'appui tant qu'aucun mouvement ne se produit dans ses éléments, n'est que la continuation des murs par surplombement jusqu'à leur rencontre flans l'axe de l'espace couvert. les assises sont donc à joints horizontaux et encorbellements successifs, coiffées au sommet par une dalle à cheval sur les deux parois.
L'intrados, de forme ogivale généralement assez élancée, est laissé brut lorsqu'il est masqué par un plafond de bois à hauteur des naissances : il est au contraire parfaitement dressé lorsqu'il doit rester apparent et recevoir un décor, notamment dans les demi-voûtes des bas-côtés de galeries. L'extrados est forcément beaucoup plus applati, se rapprochant du plein-cintre, et sa courbe sert de gabarit à la mas-se du fronton.Dans les bâtiments de plan cruciforme, l'intersection des deux berceaux se fait normalement par voûtes d'arêtes, et pour les e prasat s de plan carré on applique le principe des voûtes en arc de cloître, niais souvent interrompues par des parties verticales correspondant aux ressauts des étages fictifs extérieurs.
On ne possède aucun renseignement sur les moyens d'exécution dont pouvaient disposer les Khmers pour la construction de leurs temples. Les bas-reliefs donnent seulement quelques indications sur les opérations de rodage des blocs de pierre, sans qu'y figure le moindre appareil de levage — nous en sommes donc réduits aux hypothèses. A en juger par les conditions actuelles de nos travaux, où notre ou-tillage mécanique se réduit à quelques palans, les Cambodgiens ont dû conserver les méthodes de bâtir de leurs ancêtres. Fort habiles à dresser avec de simples bois coupés dans la forêt et serrés par des liens végétaux les échafaudages les plus hardis, qui mettent en valeur leurs qualités de grimpeurs, ils soulèvent - en s'encourageant de la voix comme tous bons orientaux — les charges les plus pesantes, les portent à l'épaule suspendues à deux perches ou bambous, les halent à grande hauteur sur des rampes en rondins. Il est donc permis de supposer que le levage se faisait de même autrefois au moyen d'échelles ou de plans inclinés, peut-être avec l'aide de treuils ou do cabestans.Georges Groslier s'est livré à des études très poussées sur le temps nécessaire à la construction d'un grand temple du Nord-Ouest du Cambodge, Bantéay Chhmar : ses évaluations, basées sur le raisonnement et la logique plutôt que sur des faits précis, le conduisent à un délai d'exécution d'une cinquantaine d'années et en tout cas, au minimum, de 32 à 35 ans : nous serions assez tenté d'adopter ce dernier chiffre, qui correspond sensiblement à la durée du règne de Sûryavarman II, constructeur d'Angkor Vat: le style très homogène de ce monument autorise en effet à le considérer comme ayant été édifié sans interruption et sous une direction unique.
La thèse de Georges Groslier est d'autre part un argument péremptoire contre l'attribution au seul roi Jayavarman VII, qui régna quelque vingt ans, de la totalité des temples dits du style du Bayon, où abondent les preuves de nombreux remaniements et qui manquent singulièrement d'unité. L'amélioration du matériel de la Conservation d'Angkor, commencée avant 1955, a été amplifiée par l'attribution d'un lot considérable mis à la disposition de l'E. F. au départ de l'armée française.Monsieur Malleret obtenait ainsi un équipement digne du Groupe de Monuments le plus important du monde.Actuellement, une dizaine de camions, autant de jeeps, 15 2 CV, des élévateurs, chariots, grues, Decauville, échafaudages par tubes, etc., etc..., sont à la disposition d'une vingtaine de techniciens français.
Aucun monument khmer n'a la froideur ni la sécheresse d'une épure, et c'est à la sculpture ornementale, mode d'expression plastique de l'esprit créateur, qu'il le doit. Même dispensée à profusion comme en certains temples où pas un pan de mur ne reste nu, elle n'est ni déformante, ni de mauvais goût et ne fait fonction de remplissage.
Comme les prêtres, architectes et sculpteurs ne sont que les desservants d'un même culte traditionnel; ils font uvre pie avec une égale abnégation, tout restant anonyme et impersonnel. L'artiste travaille selon un concept d'abstraction, et ce qu'il exécute est à base de constante répétition : l'art réside en ce que cette répétition n'engendre pas la monotonie mais le rythme.
Pratiquement c'était la seule solution possible ; car il ne suffit pas d'une ordonnance royale pour faire ciseler des kilomètres carrés de murs par des milliers de sculpteurs. L'artiste véritable est un être d'exception, dont l'activité se greffe sur celle du maître d'uvre. Il était libre sur des thèmes imposés de moduler ses variations, mais entre l'ébauche gravée au trait sur la pierre et les derniers coups de ciseau, il lui fallait avoir recours à toute une équipe de praticiens, d'artisans spécialisés travaillant sur des poncifs et ne pouvant donna cours à leur fantaisie qu'en des détails infimes.
Chacun ayant sa tâche bien définie et, si l'on peut dire, son rayon, pouvait atteindre à une suffisante habileté manuelle à défaut de maîtrise : le Khmer d'ailleurs était trop idéaliste pour s'arrêter à quelques imperfections qu'il tenait pour secondaires tant que la valeur d'intention restait intacte. Parfois de véritables artistes se révélaient, et c'était la prodigieuse réussite d'un Bantéay Srei : partout on gardait une apparence d'unité, rehaussée de quelques points brillants dûs aux mains les plus expertes. Enfin, le nombre très restreint des éléments fondamentaux de l'architecture, l'éternelle répétition des motifs, favorisaient la tâche d'unification : l'évolution du décor était liée seulement au caractère de chaque époque, selon qu'on se trouvait en période d'incubation, d'épanouissement, de cristallisation on de déclin.
Si l'artiste khmer parvient parfois à s'évader de la rigidité des principes qui le dominent et à laisser transparaître sa personnalité, c'est évidemment sous la forme narrative des bas-reliefs Echappant aux combinaisons strictement ornementales de l'arabesque il peut, sur des sujets tirés de la mythologie ou de l'histoire, des légendes épiques ou de l'ethnographie, sinon se laisser aller à l'émotion, du moins se rapprocher du mouvement, de la nature et de la vie. Il est d'ailleurs probable, sans qu'il en reste rien aujourd'hui, qu'à côté de ces pages de pierre, qui rappellent à certains égards les tapisseries de notre moyen-âge telles que celle de la Reine Mathilde à Bayeux, des fresques peintes dans le même esprit venaient animer la froide nudité des murs intérieurs des sanctuaires.
Sauf à Bakong où, sur le gradin supérieur de la pyramide, nous avons mis au jour quelques rares vestiges d'un déploiement de bas-reliefs à ciel ouvert, il semble que jusqu'au Xe siècle les Khmers se soient contentés de la représentation de quelques scènes sur les champs très limités de linteaux ou de frontons ; les plus remarquables se trouvent sur les tympans de Bantéay Srei. Par la suite l'habitude s'est conservée pour les frontons, qui sont tantôt à composition unique, tantôt à registres superposés ; les Khmers, ignorants des lois de la perspective, avaient choisi ce dernier mode d'expression pour indiquer les plans successifs, le registre inférieur figurant le premier plan.
Au Baphûon, apparaissent des bas-reliefs par étagement de panneaux sur pans de murs étroits : c'est une succession de tableautins qui, quoique d'inspiration légendaire, sont à tendances naturalistes d'ailleurs naïvement exprimées.
A Angkor Vat au contraire, ce sont, sur les douze à treize cents mètres carrés de murs de la grande galerie extérieure, d'énormes compositions en rapport avec la belle ordonnance du monument ; les parois sont entièrement couvertes, sans un vide, sans un repos, formant un tout ou divisées en registres selon la nature des sujets traités qui en font soit des pages débordantes de vie, soit de sévères images hautement stylisées, toutes taillées à fleur de pierre.
Au Bayon enfin, tout au moins à la galerie extérieure, nous quittons les sujets légendaires pour les récits tirés de l'histoire du règne et les scènes de la vie courante. Ces reliefs, traités plus en volume et dans un style familier, sont une source inépuisable de renseignements sur les coutumes des anciens Khmers, peu différentes de celles des Cambodgiens d'aujourd'hui. Situés comme à Angkor Vat dans la partie du temple accessible au public, ils étaient faits pour lui. C'est là que l'artiste, inspiré par une force supérieure, s'efforçait d'associer le peuple à ses propres pensées, de l'initier, de l'élever jusqu'à lui c'était la propagande du moment.
On ne peut quitter la série des bas-reliefs sans mentionner le grandiose revêtement de la Terrasse des Eléphants d'Angkor Thom : sur un développement de près de 400 mètres, ces animaux, sensiblement grandeur nature, sont représentés de profil, participant à des scènes de chasse et traités de façon beaucoup plus réaliste que de coutume. Certains panneaux sont sculptés de beaux garudas en atlantes, et, immédiatement au Nord, la double paroi à redents de la Terrasse dite du Roi Lépreux» montre en plusieurs registres des alignements de femmes au visage très pur qui constituaient les cours des rois des êtres fabuleux qui hantent les flancs du mont Meru : ces divers bas-reliefs sont du style du Bayon.
DEVATAS, APSARAS, DVARAPALAS
Ce sont des bas-reliefs à personnages isolés ou groupés, ciselés parfois en pleine muraille ou sur fond de décor, mais le plus souvent abrités dans des niches.
Nymphes célestes, dont le caractère hiératique s'accommode si bien de la présentation de front, les devatâs garnissent en tous temps les redents des sanctuaires puis, au XII siècle, les parois des salles et galeries : Angkor Vat les prodigue par centaines, tenant le visiteur sous le charme de leur sourire toujours empreint de sérénité. La fraîcheur de leur jeune corps au torse nu, la grâce de leurs gestes souples et de leurs doigts fuselés tenant un lotus ou jouant avec des cordons de lieurs, font oublier la lourdeur des jambes, toujours sacrifiées, et la gaucherie de leurs pieds présentés de profil, faute d'avoir su traiter les raccourcis.D'échelle au moins demi-nature, parées de nombreux bijoux, les devatâs diffèrent selon l'époque par le drapé de leur longue jupe ou sarong , et la prodigieuse variété de leurs coiffures et des tiares ou diadèmes ( mukuta ).
La danse liturgique, qui tenait une si grande place dans le rituel — la stèle de Ta Prohm parle de 615 danseuses vivant dans l'enceinte de ce temple — devait fournir au sculpteur l'occasion de s'évader de la rigidité habituelle des attitudes représentées et d'exprimer le mouvement. Mais alors que la danse cambodgienne pouvait permettre de traduire toute la gamme des sentiments humains, l'apsaras apparaît toujours sur la pierre dans une même pose dérivant de celle du personnage volant, d'ailleurs à peu près impossible à tenir, avec seulement quelques variantes dans les gestes des bras ; la stylisation est poussée à l'extrême, et l'usage du poncif n'est pas douteux.
Généralement à échelle réduite, rassemblées en longues files comme à Prah Khan ou par motifs remarquablement composés de deux ou trois comme sur les piliers du Bayon, les apsaras par milliers, vêtues seulement d'un pagne léger moulant les cuisses et dont les pans voletaient derrière elles, est couvertes de bijoux et des plus étincelantes parures de tête : isolées du monde par un lotus épanoui ou volant en plein ciel, elles sont le symbole divin de la joie.
Les dvârapalâs sont figurés debout, armés d'une lance ou d'une massue, sur les pilastres flanquant l'entrée des sanctuaires de certains temples comme Prah Khan : dieu d'un côté, au sourire bien-veillant, démon de l'autre, au caractère menaçant, représenté de façon assez puérile par le rictus sinistre du visage et la contraction des traits, ils ont pour mission de chasser les influences néfastes. D'autres fois, abrités dans des niches sur les piles d'angle des prasat, ce sont de puissants guerriers à l'aspect plus humain et conscients de leur force comme à Prah Kô, ou les charmants éphèbes de Bantéay Brui.
De toutes les manifestations d'activité de l'art khmer, celle-ci, mieux que toute autre, témoigne dé la puissance d'adaptation du sculpteur et de son extraordinaire prolixité. Il rechigne à laisser nue la moindre surface et dévore littéralement la muraille, mais de l'excès même de ce foisonnement naît une impression de grisaille qui met en valeur les centres d'intérêt, et dont la complication n'apparaît que dans une étude de détail, sans porter préjudice à la netteté des formes et des profils.
Quand un pan de mur est entièrement couvert, c'est tantôt par un revêtement régulier de motifs géométriques ou d'ornementation pure comme à Bantéay Srei, tantôt par la combinaison de quelques parties de décor avec un arrière-plan végétal traité de façon presque naturaliste, comme en certains points du Prah Khan. Comme toujours les éléments-types sont peu nombreux, et leur emploi est à base de répétition, mais non de redites l'évolution est continue et les incidentes se multiplient au cours des siècles.
Dans l'ordre végétal, l'inspiration vient du lotus : boutons, péta-les ou fleurs épanouies, donnant naissance à toutes les variétés de rosaces — parfois aussi, surtout en la première époque, de la délicate ombelle du lotus bleu, rappelant le lotus d'Egypte.
Puis c'est la gamme des feuillages en crosses, dérivés de la feuille d'açanthe, s'étirant en flammes, s'enroulant en volutes, formant hampes ou succession de rinceaux, si proches de notre Renaissance, et parsemés de figurines ou d'animaux. Enfin, jugulant toute fantaisie par l'emploi de quelques formes géométriques simples, le décorateur épuise -toutes les possibilités que peuvent offrir le cercle, le losange et le carré associés par bandes ou par panneaux.Sur les murs ou piliers intérieurs et les tableaux des baies, principalement au XIIe siècle, de fines ciselures à fleur de pierre viennent animer la sévérité des galeries : personnages en prière dans des niches, feuillages légers et tout un déroulement de galons et de frises à pendeloques, véritable travail de tapisserie.
Destinées à porter le linteau, les colonnettes sont d'une façon générale à section ronde dans l'art primitif (VII-VIIIe siècles), rectangulaire dans le style du Kûlen (première moitié du IXe siècle), puis octogonale dès le début de l'art classique. Entre leur base sculptée d'un petit personnage dans une niche et leur chapiteau, le fût est cerclé de bagues moulurées en nombre variable, séparée par des nus et frangées de feuilles décoratives. Le nombre et l'importance des bagues vont en augmentant de la fin du IXe siècle — époque où se rencontrent les plus beaux spécimens — jusqu'au XIIIe siècle, tandis que les nus se rétrécissent et que les feuilles se multiplient et s’amenuisent jusqu'à disparaître totalement.
C'étaient, avec les colonnettes, les seules parties en grès sculpté dans les prasat en briques de la première époque. Le décor, venant directement de l'Inde et dérivant Le l'architecture en bois, se composait essentiellement d'une sorte d'arc méplat rehaussé de médaillons, craché aux extrémités par des e makaras s — monstres marins composites à trompe — tournés vers le centre, et laissant tomber une série de pendeloques. Par la suite les makaras faisaient place à des motifs en crosses végétales, le feuillage gagnait de plus en plus transformant l'arc en, véritable branche, et donnait dans le style du Kûlen, avec parfois la réapparition des makaras, quelques pièces de tout premier ordre. C'est à cette époque qu'apparaît au centre et placé haut dans le linteau le motif d'origine javanaise de la tête de Kâla, monstre dévorant armé de deux bras et sensé représenter un aspect de Çiva — le Temps qui détruit toute chose — dont l'emploi devait se généraliser dans les siècles suivants (1).
Dans l'art classique, la branche de feuillage s'impose définitivement : horizontale ou sinueuse, parfois coupée aux quarts par un motif ornemental, interrompue au centre par quelque personnage surmontant généralement la tête de Kâla, elle fait saillie sur un fond de feuilles flammées et de crosses végétales, crachée souvent par des lions et terminée par des nages polycéphales. Les linteaux du style de Prah Kô (fin du IXe siècle), où le décor s'agrémente de multiples petits personnages, sont parmi les plus intéressants, particulièrement développés en hauteur et couronnés par surcroît d'une petite frise.
(1) La tête de Kâla est aussi appelée Tête de Rahu •, démon des éclipses. La légende de Battu est liée au Barattement de la Mer de lait ; le monstre en effet, voleur de l'amrita, liqueur d'immortalité. est dénoncé par le Soleil et la Lune à Vishnou qui, d'un jet de son disque, lui sectionne le corps en deux; depuis, chaque tronçon. demeurant immortel, s'efforce. pour se venger. de dévorer le Soleil et la Lune chaque fois que l'un de ces astres passe à ta portée.
Au XIIe siècle, on rencontre quelques linteaux où la branche est à brisures multiples, puis celle-ci disparaît complètement, l'axe vertical devenant un axe de symétrie pour l'ornementation, faite de longues feuilles flammées émanant de larges crosses, tandis que la tête de Kâla s'abaisse progressivement
Exécutée d'abord sur fond de brique en enduit au mortier de chaux, dont il nous est resté quelques rares éléments, la décoration des pilastres ne devait connaître son plein développement qu'avec la généralisation de l'emploi du grès.
Flanquant chaque porte et supportant le fronton, let pilastres formaient de longues bandes verticales appelant de toute évidence la superposition de motifs identiques. De leur base à leur corniche, toutes deux moulurées, ils pouvaient se couvrir de rinceaux, faits d'une série de crosses végétales, souvent baguées et prenant toute la largeur du panneau jusque vers le milieu de la période classique, puis sans bagues et bordées latéralement de petites feuilles. la fantaisie de l'artiste ne s'exprimant que par l'adjonction de petite personnages et d'animaux participant de l'enroulement des crosses.
Simultanément, et quelle que fût l'époque, se trouvait le type à chevrons», dont chaque élément se composait d'un motif central surmonté d'un fleuron formant pointe et d'où descendaient deux retombées de feuilles symétriques. Le motif central s'accompagnait fréquemment d'une petite niche à arc trilobé abritant une figurine, ou bien, surtout à partir du XIe siècle, d'une hampe de feuillage. Au XIIe siècle, époque où s'affirmait le goût pour les bas-reliefs, de véritables petites scènes à personnages garnissaient la partie inférieure du pilastre au-dessus de la mouluration de base.
En certaines époques, et principalement à celle du Baphûon (XIe siècle), la hampe de feuillage devient motif principal et envahit toute la surface du panneau, donnant un mouvement purement ascendant, en arête de poisson. Parfois aussi apparaissent des superpositions de motifs en forme de lyre (styles du Bakheng et d'Angkor Vat), ou de losanges (fin du IXe siècle).
Les trois fausses-portes d'un prasat étaient la réplique en pierre de la porte en bois de l'entrée Est : faites de deux vantaux séparés par la barre de fermeture à gros boutons carrés, elles étaient traitées en chacun de leurs panneaux dans le même esprit que des pilastres, mais encadrés d'une riche mouluration de plus en plus envahissante au cours des siècles. Au IXe siècle, des sortes de mascarons (têtes de lion ou autres) marquaient le milieu de chaque vantail correspondant sans doute aux motifs porte-anneaux des portes véritables.
Pour tout esprit méditerranéen, l'idée de fronton implique celle de la figure géométrique du triangle, qui ferme et qui assoit : c'est le couronnement rigide et implacable du temple grec.
Le fronton khmer classique au contraire, simple ou à encadrements superposés, aboutissement de la forme ogivale de la voûte des galeries, participe du mouvement ascendant du prasat : loin d'être inerte, il aspire de bas en haut ce qui se trouve au-dessous et s'élance vers le ciel, servant de base aux autres frontons décroissants qui marquent les ressauts des étages. Sans rien garder de la sécheresse des lignes, il s'enveloppe des souples ondulations de l'arc polylobé du nâga stylisé, dont le corps se dentelle de feuilles flammées, et dont les têtes elles-mêmes se recourbent et se redressent à chaque extrémité. La composition des scènes du tympan vient accentuer encore l'impression d'envol.
Au début toutefois, alors que le fronton de briques, recouvert d'enduit et pauvrement décoré de quelques motifs isolés (réductions d'édifices et personnages), était quelque peu sacrifié au linteau de grès, sa forme était toute différente. Né de l'arc en fer-à-cheval des monuments indiens, il constituait un large panneau rectangulaire à redents, plutôt surbaissé. Souvent réalisé en grès dès la fin du le siècle, son tympan se couvrait d'un décor végétal à grandes volutes formant composition unique, tandis que son encadrement, traité en méplat, se terminait par des têtes de malteras divergentes.
A partir du Xe siècle le makara fait place au nâga polycéphale craché par la tête de Kâla, puis celle-ci disparaît à l'époque du Baphûon (milieu du XIe siècle), tandis que l'arc se bombe, marquant une certaine tendance au réalisme ; au XIIe siècle enfin, le nâga est à nouveau craché par une tête de monstre, rappelant cette fois la tête de dragon. La silhouette générale s'est exhaussée dès l'apparition de la galerie voûtée, adoptant définitivement la formule de l'arc polylobé de proportion très élancée.
Parallèlement, on voit apparaître dès le Xe siècle certains tympans à scènes à côté de ceux à décor végétal, qui ne subsistent que jusqu'au début du XIIe : comme sur les bas-reliefs des murs, les épisodes représentés sont tantôt d'une seule venue, tantôt à registres superposés — formule qui prévaut dans le style du Bayon.
On ne peut omettre de mentionner, aux X-XIe siècles (Koh Ker, Bantéay Srei, Ptah Vihéar) quelques frontons de forme triangulaire d'une grande valeur décorative. Ce n'est qu'un rappel de l'architecture en bois, conditionné par les toitures en tuiles à deux versants antérieures à l'apparition de la voûte : les deux lignes divergentes s'y enroulent aux extrémités en larges spirales (1).
(1) Pour ce chapitre et le suivant, inspirés directement des études minutieuses de M. Philippe Stern et de Mme de Coral-Rémusat sur l'évolution des thèmes d'ornementation, nous prions le lecteur désireux d'approfondir la question de bien vouloir se reporter a l'excellent ouvrage, abondamment illustré, de Madame de Coral-Rémusat : L'Art Khmer , publié par les Editions d'Art et d'Histoire, Paris 1940.
— Le nâga — stylisation du cobra, est doté de plusieurs têtes disposées en éventail, toujours en nombre impair et allant généralement de 3 à 9. Venant de l'Inde, il figure dans la légende à l'origine du peuple khmer et est le symbole de l'eau.
Constamment représenté dans l'art, il a pris en tant que nâgabalustrade, motif entièrement nouveau, une importance capitale. Au début — notamment à Bakong (fin du IXe siècle) — le corps s'allonge directement sur le sol, et les têtes, très massives donnent une singulière impression de puissance. Par la suite, le corps est surélevé sur des dés, et les têtes, d'abord simplement diadémées, sont de plus en plus largement crêtées, soit de tresses flammées comme à Angkor Vat ou Prah Palilay, soit d'une auréole continue et purement ornementale comme à liens Méaléa : en cette période (première moitié du XIIe siècle), le col est nu et d'une courbe parfaite.
Peu après — par exemple à Bantéay Samré — le nâga est craché, comme aux bordures des frontons, par une sorte de dragon, une tête de Kâla apparaît sur la nuque, et un petit garuda sur la crête axiale. Dans le style du Bayon, ce dernier élément devient dévorant, le nâga n'est presque plus qu'un accessoire, chevauché par un garuda énorme : même supérieurement exécuté comme à la terrasse du Srah Srang, le motif perd toute simplicité de ligne, devient lourd et confus.
Aux portes d'Angkor Thom et de Prah Khan, le nâga porté par les devas et les asuras n'offre aucune particularité nouvelle ; mais sur certains ponts d'anciennes chaussées khmères, probablement d'époque tardive, les têtes du nàga surmontent une image du Bouddha.
Les deux nâgas aux queues enroulées de Néak Péan, dépouillés de toute ornementation, s'apparentent par leur nudité même au nâga Mucilinda, abritant de ses têtes éployées la méditation du Bouddha.
— Le lion — Les lions, gardiens des temples dont ils ornent l'entrée de part et d'autre des perrons, sont à vrai dire assez médiocres. Inconnus dans la faune indochinoise, ils imposaient au sculpteur l'obligation de s'inspirer seulement de thèmes venus de l'Inde, de Java ou de la Chine, sans recours direct à la nature.
Philippe Stem a démontré que leur évolution, du IXe au XIIIe siècle, était liée au soulèvement progressif de l'arrière-train et à la stylisation de plus en plus accusée de la crinière.
Dans le style de Prah Ko (fin du IXe), le lion, franchement assis et d'allure très ramassée, ne manque pas de caractère. De suite après, au Phnom Bakheng, bien que la tête demeure caricaturale avec sa gueule énorme et ses yeux exorbités, la proportion s'améliore grâce à l'allongement du corps. Simplement accroupis vers la fin du Xe siècle, ils se dressent de plus en plus sur leurs quatre pattes, cambrés à l'excès, tandis que leurs formes deviennent plus grêles ; dans le style du Bayon la tête est de plus en plus grinçante et parfois tournée de trois-quarts. D'une façon générale la queue, prise dans 1a masse, court tout du long de l'échine ; dans le cas contraire, où elle était peut-être en métal, elle a disparu.
Le gajasimha ou lion-éléphant est une variété de lion avec trompe assez peu répandue.
— L'éléphant — On ne le rencontre guère en ronde-bosse qu'aux angles des gradins de quelques pyramides de la première moitié de l'époque classique — Bakong, Mébôn oriental, Phiméanakas — sa taille allant en décroissant progressivement à chaque étage comme tous les éléments de l'architecture ; il marque donc, face à l'extérieur, les quatre points collatéraux. Sculpté de façon assez réaliste dans un seul bloc de pierre, il porte un harnachement complet avec clochettes et grelots.On peut citer également comme ronde-bosse les trois têtes accolées garnissant les angles rentrants des portes monumentales d'Ankor Thom : les trompes descendant verticalement et cueillant des touffes de lotus sont d'un heureux effet décoratif.
— Le taureau — Le taureau sacré Nandin, en tant que monture de Çiva, est couché face aux entrées de quelques sanctuaires consacrés à ce dieu. Lorsque le prasat est à quatre baies libres, comme au Phnom Bakheng — et à Bakong, où devait exister un sanctuaire initial en matériaux légers — le Nandin est placé aux quatre points cardinaux, symbolisant le pouvoir de son maître sur toutes les régions de l'espace. A Prah Ko il en existe devant l'entrée unique des trois sanctuaires de la première rangée : on en rencontre également, plus ou moins mutilés, à Bantéay Srei, Ta Keo et Chau Say Tevoda.
Le Nandin est porteur d'une bosse comme le zébu ; assez exactement reproduit au IXe siècle dans une pose naturelle, les jambes antérieures repliées sous le corps, il se soulève ensuite de plus en plus sur l'une de ses pattes, tandis que ses proportions deviennent beaucoup plus grêles et, sa ligne de moins en moins satisfaisante. Il est généralement paré d'un collier de grelots ou d'orfèvrerie.
Bien des visiteurs s'étonnent de ne voir dans les monuments qu'un nombre infime de statues : c'est qu'il a été reconnu impossible de les y laisser en raison des déprédations et des vols. Les plus belles pièces trouvées dans les fouilles ont donc été envoyées dans les musées de Phnom-Penh, Hanoi, Saigon le surplus étant conservé dans un dépôt.
On a beaucoup médit de la statuaire khmère qui parmi des milliers d'autres simplement honorables, n'a fourni que quelques œuvres vraiment remarquables, susceptibles de satisfaire pleinement notre goût d'Occidentaux et de donner, comme les chefs-d'uvre de la Grèce antique, le sentiment de la perfection.
C'est que le génie plastique tel que nous le comprenons implique chez l'artiste, en sus de l'inspiration, le sens esthétique, une technique supérieure, et l'affirmation d'une personnalité : ce qui chez les Khmers faisait la force de la sculpture ornementale et assurait en réussite devait nécessairement nuire à nos yeux à la qualité de la statuaire.
L'art khmer, c'est l'idée en quête d'une forme. L'artiste ne s'inspire pas de la nature, ne s'efforce pas de représenter le mouvement et la vie, d'exécuter une belle chose : partant d'un type fixé dans l'abstrait, il cherche à l'exprimer dans le domaine du réel avec une mentalité de visionnaire, et selon la formule de l'immobilité plastique chère à sa race. Son œuvre est un acte de foi, de foi plus collective qu'individuelle, où chacun puisse retrouver ses propres émotions ; le chef-d'œuvre naît de l'intensité de cette flamme intérieure qui l'inspire, de sa communion spirituelle avec la divinité. D'où la pauvreté — pour lui absolument sans importance — de certains détails, et l'accoutumance à tant d'aspects qui nous étonnent: personnages fantastiques et composites, dieux à bras multiples et têtes étagées. De là aussi la puissance d'expression de tant de visages et leur calme beauté, véritable rayonnement de l'âme aspirant à la sérénité bouddhique.
Il est normal que plusieurs des pièces jugées par nous les plus remarquables soient celles datant de la période de début de l'art Khmer allant jusqu'au IXe siècle, où le sculpteur s'efforçait de rendre exactement la vérité anatomique : nous citerons entre autres l'admirable statue de Çiva à huit bras, avec arc de soutien, du Phnom Da (Province de Takeo) qui se trouve au musée de Phnom Penh entourée de deux acolytes, — le Hari-Hara de l'Asram Malta Rosei (Musée Guimet) — le Hari-Hara du Prasat Andet, d'une élégante pureté de ligne (Musée de Phnom-Penh), — plusieurs Vishnous du Phnom Kulen. Une des caractéristiques de cette époque est la coiffure en mitre cylindrique, et l'on ne retrouve nulle part, dans cet art essentiellement chaste, le caractère forcené, délirant et obscène de certaines sculptures de l'Inde.
Dès la fin du IXe siècle, où l'on rencontre, notamment à Bakong et au Phnom Bakheng, quelques superbes corps de femmes d'une grande sobriété d'expression, le sculpteur s'oriente vers la stylisation et une forme d'hiératisme de plus en plus rigide et conventionnelle, qui d'ailleurs ne manque pas de puissance. Puis, de la fin du Xe siècle (Bantéay Srei) à l'époque d'Angkor Vat (première moitié du XIIe), les préférences vont à la statuette, traitée avec plus de souplesse et de douceur dans les visages.
Au XIIe siècle enfin, c'est le concept de spiritualité qui triomphe, et tandis que le corps, d'un modelé rudimentaire et campé sur des jambes massives, a souvent la gaucherie d'une ébauche, tout l'effort se concentre dans le reflet de vie intense né de la méditation de l'être.
Partout, à côté de divinités féminines pleines de charme et richement parées, se multiplient les images du Bouddha assis sur les replis du corps du nâga et qu'abritent ses têtes en éventail ; on en trouve notamment au Bayon quelques exemples empreints d'un profond mysticisme et véritablement émouvants. Certaines représentations de bodhisattvas, qui passent pour être des statues-portraits de personnages divinisés, s'imposent à l'admiration de tous, et avec des œuvres comme la Prajnapârâmita du Prah Khan (musée Guimet) ou le Lokeçvara irradiant du sanctuaire central de ce même temple, laissé sur place, touchent vraiment au grand art.
Le bronze n'a guère livré que des statuettes, exécutées à cire perdue et offrant les mêmes caractéristiques que la statuaire : il n'en est pas moins probable qu'il devait exister des pièces beaucoup plus importantes, que la rareté de la matière a fait passer à la refonte. Au Mébôn occidental, nous avons trouvé dans un puits un important fragment (tête et partie de buste) d'un colossal Vishnou couché, plus de deux fois grandeur nature et remontant au XIe siècle : uvre de qualité, qui prouve que les Khmers, avec les médiocres moyens dont ils disposaient, ne reculaient pas devant un large emploi du métal.
Il nous reste à dire quelques mots des piédestaux des statues : moulurés et décorée comme les soubassements des terrasses ou sanctuaires avec un axe de symétrie horizontale, ils supportaient, comme nous l'avons vu pour le linga, un plateau à ablutions ou snânadroni permettant à l'eau lustrale de se déverser par un bec invariablement tourné vers le Nord. Sous la statue, à l'intérieur du piédestal, une pierre cubique généralement à 16 ou 32 alvéoles alignées sur son pourtour, recevait le dépôt sacré, constitué par quelques gemmes ou matières précieuses ; il n'est pas impossible qu'elles aient aussi contenu parfois des cendres du personnage divinisé.
Au sommet des tours, à l'intérieur du lotus de couronnement, se plaçait une autre sorte de pierre à dépôts, dalle plate orientée, creusée d'un nombre variable de cavités disposées dans un ordre rituel ; aucune n'a échappé à l'attention des pillards.
Dates | Souverains | Capitales | Monuments | Evénements | ||||
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Epoque formative | ||||||||
Ier-IIe siècles | Indianisation de l'Indochine, de la Malaisie et de l'Insulinde. Expansion commerciale de l'Inde vers l'Asie du Sud-Est | |||||||
225-539 | Fan Tchan, etc. | Oc-éo | Enceintes dans le delta du Mékong | Constitution d'un Etat khmer. Royaume du Fou-Ban. Domination sur la Malaisie | ||||
Epoque préangkorienne | ||||||||
550 | Bhavavarman Ier | Phnom Da | Royaume du Tchen-la. Constitution d'une architecture sacrée en dur, prasats en brique et enceintes à gopuram Division du Tchen-la en Tchen-la d'Eau et Tchen-la de Terre. Période troublée par des raids javanais. |
|||||
616-635 | Isanavarman Ier | Groupe de Sambor | ||||||
636-656 | Bhavavarman II | Sambor Prei Kuk | Prei Kmeng | |||||
657-681 | Jayavarman Ier | Prasat Andet | ||||||
VIIIe siècle | ||||||||
Epoque angkorienne préclassique | ||||||||
802-850 | Jayavarman II | Kulen Angkor Roluos |
Rong Chen Ak Yum |
Constitution du temple-montage | ||||
877-889 | Indravarman | Roluos | Preah-Kô | Equipement de la zone d'Angkor: | ||||
889-900 | Yasovarman | Angkor(Yaso-dharapura) | Prei Kmeng | Equipement de la zone d'Angkor: | ||||
900-921 | Harshavarman Ier | Angkor | Baksei Chamkrong | |||||
Epoque de transition | ||||||||
921-944 | Jayavarman IV | Koh Ker (Chok Gargyar) | Le Prang et Prasat Thom | Usurpation et création d'une capitale nouvelle.Elaboration de l'art classique khmer. | ||||
944-968 | Rajendravarman | Angkor | Mébon Oriental Pré Rup | Retour à Angkor. Conquête temporaire du Champa | ||||
Epoque angkorienne classique | ||||||||
967-968 | Rajendravarman | Angkor | Banteay Srei | Classicisme dans le décor Galerie pourtournante. Conquête du Siam | ||||
968-1001 | Jayavarman V | Angkor | Phiméanakas Takéo |
Conquête du Siam | ||||
1002-1050 | Suryavarman Ier | Angkor | Preah Vihear | Conquête du Bassin du Ménam Baray Occidental | ||||
1050-1066 | Udayadityavarman II | Angkor | Baphuon | 449,954 | ||||
1066-1080 | Harshavarman III | Angkor | Preah Vihear | Raid des Chams contre l'empire khmer Guerre avec les Chams | ||||
1080-1107 | Jayavarman VI | Angkor (?) | Vat Phu | Guerre civile | ||||
1107-1113 | Dharanîndravarman Ier | Angkor | Révolte du futur Suryavarman II | |||||
1113-1150 | Suryavarman II | Angkor | Angkor Vat | Apogée de la puissance khmère Domination en Malaisie et Invasion du Champa par les Khmers | ||||
1150-1177 | Dharanîndravarman II Yasovarman II |
Angkor | Bang Mealéa Banteay Samré |
Apogée de la puissance khmère Domination en Malaisie et Invasion du Champa par les Khmers | ||||
1177-1181 | Tribhuvanadityavarman | Angkor ruiné | Période troublée, guerres de succession, usurpations et chaos. Angkor mis à sac par les Chams Occupation du pays par les Chams | |||||
Epoque d'efflorescence baroque | ||||||||
1181-1219 | Jayavarman VII | Angkor Thom | Ta Prohm Banteay Kdei Srah SrangPreah Khan Bayon enceinte d'Angkor Thom |
Reconquête et restauration de la puissance khmère. Conquête du Champa. Période de construction intensive et hâtive |
||||
1219-1243 | Indravarman II | Angkor Thom | Terrasses royales | Le Champa se libère des Khmers | ||||
1243-1295 | Jayavarman VIII | Angkor Thom | Fin de l'architecture de pierre | Fin de la domination khmère en Malaisie. Décadence | ||||
1353 | Prise d'Angkor par les Siamois | Abandon d'Angkor | ||||||
1393 | Prise d'Angkor par les Siamois | Abandon d'Angkor | ||||||
1431 | Prise d'Angkor par les Siamois | Abandon d'Angkor | ||||||
1570-1587 | Sâtha | Réoccupation d'Angkor | Restauration d'Angkor Vat et d'Angkor Thom |
Apsara | Nymphe ou divinité céleste |
---|---|
Ashram | Ermitage, lieu de retraite et de méditation |
Baray | Lac artificiel cambodgien |
Bodhisattva | Personnage sur la voie de la sainteté et qui deviendra Bouddha |
Çailandra | Nom d'une dynastie de Java, signifiant «Seigneur de la Montagne» |
Çakyamuni | Le Bouddha, «l'ascète de la race des Çakya» |
Chaitya | Sanctuaire bouddhique |
Devata | Nymphe ou divinité céleste |
Dharmashala | Gîte d'étape, hospice pour les pauvres |
Dvarapala | Gardien de porte du temple |
Garbha Griha | Cella d'un temple hindou |
Garuda | Oiseau mythique, monture de Vishnou |
Gavaksa | «Œil de rayons», voir Kudu |
Gopuram | Pavillon d'entrée d'un temple |
Guru | Maître spirituel hindou |
Hinayana | Petit Véhicule vers le Salut, nom d'une doctrine bouddhique |
Harihara | Divinité réunissant les attributs de Shiva et de Vishnou |
Indra | Roi des dieux, seigneur de l'orage |
Ishvara | Shiva, le Seigneur du monde |
Jagamohan | Salle de réunion des temples indiens |
Kudu | Fausse lucarne en fer à cheval, symbolisant la présence de la divinité |
Lingam | Symbole phallique de Shiva, idole placée dans la cella du sanctuaire. |
Mahayana | Grand Véhicule vers le Salut, doctrine bouddhique |
Makara | Monstre marin, motif décoratif |
Mandala | Diagramme magique à dessin géométrique |
Mandapa | Salle de réunion précédant le sanctuaire (dans les temples plats khmers) |
Manduka | Mandala comportant un nombre pair de padas, ou carrés unitaires |
Mérou | Montagne sacrée, pivot du monde, sur laquelle vivent les dieux |
Naga | Divinité des eaux chez les Indiens et les Khmers, serpent mythique |
Nagara | Pour Nokor ou Angkor: la ville royale, la capitale |
Nandin | Taureau de Shiva |
Pada | Portion carrée d'un mandala, par extension: quartier de ville |
Pallava | Dynastie du sud de l'Inde médiévale |
Pancharam | Maquette d'édifice ornant la toiture d'un sanctuaire |
Phnom | Colline |
Prasat | Sanctuaire, tour d'un temple khmer |
Ratha | Temple édifié comme représentation d'un char de procession |
Shiva | Le dieu suprême, le destructeur |
Srah (Sras) | Etang, bassin aux ablutions |
Sthapati | Architecte du temple, en Inde |
Stupa | Tertre funéraire symbolique de forme hémisphérique dans la religion bouddhique |
Vat (Wat) | Monastère bouddhique |
Vishnou | Le dieu protecteur |