Cycle de fresques peint dans le choeur de San Francesco à Arezzo
Épisode I : Adam mourant et Seth, son troisième fils, rencontrant saint Michel archange aux portes du Paradis qui lui remet une graine (ou un rameau) de l'Arbre de la Vie à mettre dans la bouche d'Adam après sa mort pour racheter le péché originel.
La fresque de la lunette du côté droit, sur plus de 7 mètres de large, montre à droite Adam mourant avec la vieille Ève et leur fils Seth près de lui. Âgé de 930 ans, Adam prie son fils de se rendre à la porte du paradis terrestre afin de demander à l'ange gardien l'huile de la miséricorde qui le ramènerait à la vie. À l'arrière-plan, Seth parle donc avec l'ange qui refuse l'huile mais remet un rameau de l'arbre du Bien et du Mal avec ordre de le planter aussitôt Adam décédé. L'arbre qui en poussera fournira le bois de la Croix sur laquelle Jésus subira la Passion. Au centre on voit les descendants en foule autour de la dépouille d'Adam où est planté le rameau de l'arbre en question. Et cet arbre occupe le centre de la fresque. À l'extrême gauche, un couple enlacé. Hercule, qui prend dans ses bras Alceste, était considérée en cette époque de fusion entre christianisme et culture grecque antique, comme une préfiguration du Christ pour avoir ramené à la vie une femme en la sauvant des enfers. Le jeune homme appuyé sur son bâton est la reprise d’un modèle de sculpture grecque (Skopias). En plaçant les 3 niveaux de l’histoire dans le même paysage, Piero se réfère à Masaccio (chapelle Brancacci). Au 1er plan la scène se déroule comme un bas relief de sarcophage antique, en frise, puis l’espace se creuse, la perspective n’est pas que linéaire, elle peut être aérienne. Il est à noter dans cette scène, l’expression de douleur, rare chez cet artiste, tout en mesure, équilibre.
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Épisode II : La Reine de Saba au passage du pont sur le fleuve Siloe, se prosterne en reconnaissant le bois de la Croix, refuse d'avancer avant sa rencontre avec le roi Salomon
Tout le monde a entendu parler de la reine de Saba. Elle-même avait entendu parler de Salomon et, curieuse, avait entrepris un voyage pour le rencontrer. Cette histoire, qui connaîtra une immense postérité dans les arts et la littérature, commence dans les textes anciens : la Bible (premier livre des Rois, 10,1-13; deuxième livre des Chroniques, 9,1-12; Matthieu, 12,42 et Luc, 11,31), le Coran (sourate 27 « Les Fourmis », 20-44) et de nombreux textes des Traditions des trois religions monothéistes (Targum Sheni sur le livre d’Esther, Midrash sur les Proverbes, Alphabet de Ben Sira, Histoires des prophètes, Chroniques…) évoquent cette visite, l’enrichissent et se répondent. Comment, à partir de ces textes, la reine de Saba est-elle devenue un personnage si célèbre et en même temps si mystérieux ? Pourquoi fait-elle toujours rêver ? La réputation de sagesse de Salomon était internationale. Voulant la vérifier, la reine de Saba vint jusqu’à Jérusalem avec sa suite, chargée de cadeaux, et lui proposa des énigmes fort… énigmatiques, puisque la Bible ne les cite pas : aux textes des Traditions (commentaires, légendes, histoires) de s’en emparer, tout comme des suites de cette visite : mariage, conversion de la reine… La reine repart toujours en ayant reçu quelque chose de Salomon : dans la Bible, tout ce qu’elle désirait; dans le Coran, une nouvelle orientation spirituelle ; dans le Kebra Nagast, un fils. C’est qu’il y a dans cette histoire bien plus qu’une rencontre royale : le voyage et la découverte se déclinent en itinéraire spirituel et en Révélation. Le mythe de la reine de Saba est une question qui trouve sa réponse au terme d’un voyage, une quête qui trouve son objet. Or la réponse, c’est la sagesse, et celle-ci a été inspirée à Salomon par Dieu après avoir été demandée par la prière. La dimension religieuse est donc au cœur de ce mythe, qui peut être lu comme un mythe de la découverte du monothéisme, de la conversion. Aux côtés d’un Salomon paradoxal sous bien des aspects, la reine est un personnage ambigu, à la rencontre des religions et du merveilleux, qui s’identifie à d’autres figures féminines non moins mystérieuses. Au cœur de cette relation royale, les énigmes ou les épreuves que chacun fait passer à l’autre révèlent leur sagesse tout autant que leurs ruses et pouvoirs occultes. L’histoire de la reine de Saba se présente comme un modèle édifiant. Dès l’Ancien Testament, sa visite à Salomon s’inscrit parmi les procédés d’idéalisation du roi. Elle illustre l’affirmation biblique selon laquelle la réputation du roi s’étend jusqu’aux confins du monde puisque des rois étrangers vinrent lui rendre hommage. Or l’idéalisation est réciproque et le rayonnement géographique de cette histoire en fera même un élément culturel essentiel, voire fondateur, au Yémen et en Éthiopie. Cette entrevue exemplaire sera citée comme telle par le Christ. Les références évangéliques à la reine de Saba l’érigent comme « preuve », comme « signe » : elles en font une référence, l’instituent comme modèle. La lecture typologique poursuit ce geste consistant à prendre la reine de Saba comme « préfiguration » symbolique. Elle sera d’ailleurs considérée comme un exemple anticipé de l’Église par les Pères. La chaîne des textes religieux ou exégétiques, contribue à donner à la reine de Saba une valeur exemplaire, fondée sur l’autorité de l’antériorité textuelle. Dès le Nouveau Testament, sa visite est citée comme référence. De même, dans la culture musulmane, la tradition des tafsîr repose sur l’ancrage dans une énonciation antérieure, celle des Anciens, qui fonde la validité des textes nouveaux proposant de nouvelles élaborations interprétatives. L’histoire de la reine de Saba s’inscrit donc dans une perspective intertextuelle qui en fait toute la richesse.
Extrait de "La reine de Saba" [mondedelabible.com] par Aurélia Hetzel
L'arbre qui a poussé sur le tombeau d'Adam est abattu sur ordre du roi Salomon pour servir de bois d'œuvre. Destiné d'abord à la construction du Temple il est finalement affecté à celle d'un pont. Bientôt Salomon l'en fera retirer.
Deux scènes se retrouve réunies.
La Reine de Saba arrive et s'agenouille devant cette poutre de bois, avec la prémonition qu'il servira à fabriquer la
croix de la passion de Jésus. Autour d'elle, ses dames d'honneur sont évidemment vêtues à la mode du Quattrocento.
Puis, à droite la Reine rend visite à Salomon en son palais.
Le rythme est donné par ces groupements de personnages, le groupe des valets avec ce cheval à la Uccello et le monde aristocratique, avec une rigueur de construction de la ligne. On retrouve ainsi un bel alignement de personnages, encore plus nettement alignés que dans la frise précédente. Séparant les deux parties de cet épisode, une colonne à chapiteau corinthien, comme dans l'Annonciation. S'il faut y voir une allusion à l'actualité du temps dès lors que ces fresques sont datées de 1452 à 1458, ce serait allusion à la tentative d'union des Églises d'Orient et d'Occident (=grecque et latine)… La reine serre la main du roi et ne le regarde pas, impressionnée qu'elle est par ce souverain et par la prémonition qu'elle vient d'avoir. La tête de la reine est représentée symétriquement et exactement avec la même inclinaison à gauche comme à droite de la fresque. La rencontre des 2 personnages se fait dans le palais royal. Quand Salomon découvre le message divin reçu par la reine, il ordonne que le pont soit enlevé et le bois soit enterré, car c’est le bois qui causera la fin du royaume des juifs. C’est le palais idéal comme à Piacenza (Alberti). Piero y applique le module d’or (repris par le Corbusier) avec un rapport d’échelle harmonieux entre l’homme et l’environnement. La construction se fait à partir de carrés et rectangles, d’un jeu de trompe l’œil de marqueterie de marbre, de colonnes corinthiennes parfaites. Les hommes portent ces chapeaux à la mode, ceux des Orientaux et le Mazzocchio, couvre-chef florentin de bois et d'osier. La reine s’est changée, détail important pour l’ordre du récit. Salomon a les traits de S. Malatesta, avec ce chapeau et ce manteau de brocard qui reflète d’une part l’importance du personnage et d’autre part une référence à l’art flamand.
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Épisode III : Enlèvement du Saint Bois (par des personnages-type incarnant les défauts humains)
C’est le monde des ouvriers. Cette fresque et celle de "la Torture du Juif" viennent sans doute de cartons dessinés par Piero della Francesca. Après le passage de la reine de Saba, touchée par sa prémonition, le roi ordonne aux ouvriers de retirer le bois sacré du pont sur le Siloé. On voit ici que les nœuds du bois forment comme une auréole sur la tête de l'un d'eux, manière d'indiquer la destination finale de ce morceau de bois. Ce détail est très signifiant, car la scène est placée derrière l’autel où le célébrant d’un geste, met en scène cette sacralisation du bois annonçant la venue du Messie. L’ouvrier est en négligé, il fait chaud, il a tombé ses chausses, il est juif, et la Toscane est très antisémite à l’époque, peu à l’aise avec l’Orient. Ces détails sont importants car peint vers 1453, ils font référence alors à la chute de Constantinople, moment très douloureux pour l’Europe.
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Épisode IV : L'Annonciation
L'épisode de l'Annonciation ne fait pas partie en principe de la Légende de la Vraie Croix. Mais elle permet au peintre de mieux la faire comprendre puisque c'est l'Incarnation du Christ qui donne son sens à l'ensemble du récit. Comme dans de nombreuses autres figurations de l'Annonciation, Marie et l'ange Gabriel ne sont pas dans le même monde et séparés par la colonne centrale, symbolique. Dieu, par ses mains, émet des rayons obliques vers Marie. Imposante, plus grande que l'ange Gabriel, Marie est vêtue de la manière habituelle : robe rouge et manteau bleu. Elle tient le Livre de la main gauche. Dans cette œuvre fondamentale, Piero montre son intérêt pour la lumière, l’harmonie. Il géométrie les figure, tous les sous sont longs, comme des colonnes. Il se joue des détails, introduit des éléments du terroir dans de grandes compositions, sans renoncer à la poésie de l’infiniment petit. Il recourt au poncif, dédoublée les figures, se ressert des cartons. Il fait aussi part de l’influence de la peinture flamande connue en Italie et qui apporte ainsi un soin particulier aux matières, aux choses. Il est le témoin des choses qui l’entoure, et témoigne des gestes de tous les jours que ce soit dans les couches sociales hautes ou plus basses. C’est une œuvre importante pour Piero dans sa carrière mais aussi pour l’histoire de l’art de la Renaissance. Sans affèterie, sans embellissement vain et gratuit, il opère dans cet ensemble de fresques, une synthèse de la sacralité, de la rigueur, et d’une forme d’archaïsme. Il exprime le sacré simplement, dans la forme et la couleur.
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Épisode V : Le Songe de Constantin qui voit un ange lui montrant la croix et l'incitant à vaincre le paganisme
Organisé en Tétrarchie depuis la réforme institutionnelle de Dioclétien, l'empire est gouverné par deux Augustes et deux
Césars, réforme qui était censée améliorer la gouvernance et la paix. Or, Constantin, avec le titre d'Auguste, est sur le point d'aller livrer bataille contre son collègue et rival du fait de leur différence de politique religieuse. Trois siècles plus tard, juste avant la bataille du Pont Milvius contre Maxence, l'empereur Constantin dans un rêve, a la révélation qu'il vaincra son ennemi en se battant au nom de la sainte Croix. Il s’agit de la première scène nocturne de l’histoire de l’art. On ne peignait pas la lumière mais du doré, à partir du moment où l’on s’intéresse à la vertu de la lumière, automatiquement la notion de nuit apparaît (1470, Cœur d’amour épris du roi René). Constantin apparaît sous les traits de Jean VIII Paléologue (médailles). La tente rappelle la Vierge de la Miséricorde. La symétrie est parfaite, mais traitée comme en jeu musical de contre point. Rythmes et algorithmes constituent sa métrique.
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Épisode VI : Victoire de Constantin sur Maxence à la bataille du pont Milvius
Cette fresque est très endommagée sur la partie droite où figure l'armée de Maxence, mise en déroute par la croix brandie par Constantin. La cavalerie est représentée d'une façon qui met bien en valeur les chevaux; ce qui permet de comparer cette fresque (et celle de l'autre bataille contre Chosroès) à l'œuvre de Paolo Uccello dont la Bataille de San Romano daterait de 1456. L'empereur est représenté sous les traits de l'empereur Jean VIII Paléologue mort en 1448. Piero della Francesca avait pu le voir à Florence à l'occasion du concile organisé pour réunifier les Églises d'Orient et d’Occident. C'est la victoire de Constantin sur Maxence. Il n’y aura pas de sang, mais cette lumière magnifique. Constantin porte cette petite Croix blanche, l’ange lui a soufflé « par ce signe, tu vaincras ». Puis Constantin s'étant converti au christianisme et l'ayant légalisé par l'édit de Milan, il dépêche sa mère Hélène en Palestine
pour retrouver la Vraie Croix afin de l'installer dans son palais de Constantinople.
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Épisode VII : Torture du Juif
Une fois à Jérusalem, Hélène apprend que le Juif Judas connaît l'endroit où la Vraie Croix est enterrée, sur le Golgotha, ainsi que les deux croix du supplice des larrons. Afin d'avouer son secret, Judas est descendu dans un puits. On voit ici un juge procédant à l'interrogatoire tandis que deux personnages actionnent un treuil reposant sur un portique de bois. Judas admet qu'il connaît le temple où les 3 croix du calvaire sont cachées. Situé également derrière l’autel, il était facilement montré lors du prêche. On retrouve toujours cette régularité de composition (axialité et géométrisation des formes) et cette poésie du détail dans l’observation des vêtements.
Épisode VIII : Découverte par Sainte Hélène (mère de Constantin) et preuve formelle de la Vraie Croix
Judas a parlé. On trouve les croix. Mais laquelle est la bonne ? À gauche, Hélène assiste, avec ses accompagnatrices, à la présentation des croix qui viennent d'être déterrées de leur cache. Un ouvrier tient encore une bêche à la main. À droite, devant un bâtiment aux allures de construction de l'architecte Alberti, à cause des incisions de marbres polychromes, se produit un miracle qui permet d'identifier la Vrai Croix. Celle-ci, posée sur un cercueil, provoque la résurrection du jeune mort. Plus à droite, certains pensent voir une évocation de la ville natale de l'artiste : Sansepolcro en Toscane. Le paysage urbain de Jérusalem est représenté par une ville fortifiée qui est serait Arezzo avec le Duomo dans le quartier le plus élevé et la Pieve plus bas avec ses tours, la couleur de la brique et le Tempio Malatestiano (fronton triangulaire, triangles, cercles qui s’imbriquent avec les rectangles et les carrés comme une figure de géométrie parfaite).
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Épisode IX : La Bataille entre Héraclius et Khosro II. Défaite et décapitation des vaincus.
Trois siècles plus tard … (mais le temps ne compte pas dans ce récit, seule la narration importe)
Cette scène de bataille fait pendant à la celle du Pont Milvius. À l'issue de la bataille, le roi persan Chosroès, qui avait pris Jérusalem en 614 et dérobé la croix, est vaincu. En réalité il y eut une série de bataille et Chosroès ne fut définitivement vaincu qu'en 628. La bataille est représentée comme une spectaculaire mêlée humaine avec du sang qui coule et des têtes tranchées. Dans la partie haute de la fresque, les oriflammes des troupes chrétiennes victorieuses. Il n’y aura pas de sang, mais cette lumière magnifique. Constantin porte cette petite Croix blanche, l’ange lui a soufflé « par ce signe, tu vaincras ». À droite, Chosroès est agenouillé et écoute Héraclius qui prononce sa condamnation à mort (puisque le vol de la croix est tenu pour un blasphème). Il sera décapité. On rapporte que les membres de la famille Bacci, commanditaire de ces fresques, figurent une nouvelle fois parmi les personnages (comme ils le seraient dans la scène de Salomon et la reine de Saba). Ceux-ci ont d'ailleurs tous des traits spécifiques.
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Épisode X : Exaltation (ou restitution) de la Croix ; Retour de la Croix à Jérusalem
Face à la Mort d'Adam, cette fresque montre Héraclius pieds-nus et portant la croix, c'est-à-dire faisant preuve d'humilité pour être autorisé à entrer dans Jérusalem. C'est le 14 septembre qui célèbre cet événement dans la liturgie. Les notables de Jérusalem : Ce groupe illustre la maîtrise de Piero della Francesca à représenter les tissus et les vêtements et pas seulement les extraordinaires chapeaux des personnages. L'alignement de plusieurs têtes est également typique de sa manière où l'horizontalité est fortement marquée. Héraclius, renonçant à la splendeur et la magnificence, entre dans la ville portant la croix suivant l'exemple du Christ. A partir de là, la conception du récit va essaimer, comme sa lumière, la poésie de certaine scène, la violence qui s’oppose à l’harmonie et la grâce de l’autre. A ce récit, il faut lier le martyre de cette Eglise qui se sépare, la chute de Constantinople. Les Franciscains et Bacci avec son centre d’intellectuels avaient œuvré pour éviter cette chute. C’est un cycle qui va beaucoup compter, qui à travers une légende connue au XIIIe siècle permet à Piero de suivre l’évolution intellectuelle de son commanditaire. Au sommet une Annonciation avec un jeu de matière et de l’architecture.
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Épisodes XI et XII : Les prophètes Jérémie et Isaïe
