La Renaissance italienne - Le génie des utopies
La notion d'utopie me paraît fondamentale. En ce 20
e siècle finissant, il me semble qu'il est grand temps que nous renouions avec l'une des plus grandes facultés de notre génie humain:
le génie du rêve. Je crois qu'il y a peu de périodes où l'on ait mieux rêvé qu'en ce 16
e siècle où nous allons nous transporter. C'est donc de rêve que nous allons parler.
Il y a bien longtemps, depuis l'historien Burckhart, on parle de Renaissance. Aujourd'hui, en un moment où tous les vieux concepts sont repris et revus, les historiens d'art admettent, et à juste titre, que le terme même de Renaissance est à redéfinir.
La Re-naissance, son nom l'indique, était une nouvelle naissance. Pendant longtemps, pour nous, la Renaissance a été un moment où des hommes se sont pris à rêver d'un temps révolu de mille cinq cents ans à peu près. Au 19
e siècle, et encore pour beaucoup d'habitants du 20
e, la Renaissance est une
nostalgie, une fuite en arrière, des moments où l'on rêve d'être un peu athénien, un peu romain à l'époque de la République et des Césars. Alors est venue une nouvelle interprétation du concept: Ce sont des gens qui ont fabuleusement élargi l'horizon de leur culture, par des découvertes extraordinaires, que ce soient les découvertes géographiques que chacun connaît, ou les découvertes scientifiques. Ils se sont réfugiés dans ces découvertes, qui sont devenues le nouveau cadre du monde, de l'existence. Ce n'est plus une fuite en arrière, mais
une fuite en avant, c'est-à-dire, ne pas accepter son temps. Les deux définitions de la Renaissance jusqu'ici admises, le retour en arrière et l'imitation de l'antiquité, ou, au contraire, la fuite en avant et cette futurologie appliquée, sont des définitions trop limitatives. Il faut les garder, l'une dans l'oeil gauche, l'autre dans l'oeil droit, pour adopter une troisième définition que je vous propose.
La Renaissance est un moment privilégié où une meilleure connaissance du passé d'une part et un intérêt forcené pour aujourd'hui et demain d'autre part, a permis à une société de rêver que l'homme pouvait devenir un génie.
L'état de Renaissance, je l'appellerais un état de dépassement. Un moment où toute une société a cru et mis toutes ses forces vives et toute sa foi dans cette capacité que possède l'homme à être meilleur.
État de dépassement qu'est l'état du rêve, qu'est donc l'état d'Utopie.Dépassement au niveau de
l'homme. L'homme doit être, et cela aussi bien un Marsille Ficin, qu'un Pic de la Mirandole, qu'un Policien l'ont dit : l'homme doit être l'âme pure, l'âme transparente, haute, élevée, etservie par un corps qui soit pur et sain. Non seulement l'homme doit s'améliorer, devenir une sorte de héros, mais la
société, c'est-à-dire la constitution de ces hommes-héros, doit devenir une sur-société. Qu'elle soit harmonieuse, équilibrée et surtout, qu'elle soit consciente de ses responsabilités.
Une œuvre d'art emblématise admirablement cette société utopique des 15
e et 16
e siècles:
L'École d'Athènes
L'Ecole d'Athènes. Chambre de la Signature
Il s'agit, pour Raphaël, de montrer les voies de la Connaissance. Au centre de la composition, deux personnages. Un, lève le doigt vers le ciel,
Platon, qui tient à la main le Timée, un de ses derniers dialogues. L'autre, baisse la main vers la terre,
Aristote, qui tient à la main l'Ethique
Ils représentent deux chemins, deux démarches : celui qui va de la réalité à l'idée, Platon, c'est-à-dire de la terre à l'idéal philosophique, et l'autre, Aristote, montre l'idéal philosophique qui ne peut exister que dans son illustration d'ici-bas.
La transcendance et l'immanence sont représentées au travers de ces deux personnages. Autour d'eux, Raphaël a regroupé tous les grands savants de tous les temps. Surtout ceux de l'Antiquité, en leur prêtant les visages de certains de ses contemporains.
Sans entrer dans les détails, voyons quelques personnages importants.
Héraclite.,
Diogène, négligeant de tout, négligé en tout.
Socrate, parfaitement reconnaissable à son visage de satyre, entouré d'
Alexandre le Grand, d'
Alcibiade et d'autre disciples.
Euclide, sous les traits de Bramante, faisant une démonstration mathématique accompagné par
Zoroastre, celui qui a maîtrisé la connaissance du ciel et par
Ptolémée, celui qui a maîtrisé la connaissance de la terre. A gauche,
Averroès, reconnaissable à son turban blanc, qui a ouvert notre monde aux connaissances orientales.
Epicure le teint fleuri et couronné de pampres.
Chacun d'entre eux forme une encyclopédie des savoirs dans lesquels Raphaël ne s'est pas oublié. Il est à l'extrême droite, portant un habit noir, accompagné d'un jeune homme vêtu de blanc, le peintre Sodoma. Raphaël rend hommage à Michel-Ange et à Léonard de Vinci en leur donnant les traits d'Héraclite et de Platon.
La partie la plus magistrale est l'architecture du haut du tableau, qui doit tout à Bramante. Ce sont exactement ces caissons-là que Bramante élevaient dans la nouvelle Basilique Saint-Pierre qui voyait le jour. Cela devait être phénoménal d'avoir comme voisin presque immédiat, Michel-Ange qui peignait la Sixtine, Bramante qui élevait les coupoles et les colonnades, et Léonard de Vinci se promenant dans les couloirs à la recherche de travail. Jules II a eu beaucoup de chance.
L'Ecole d'Athènes
, de Raphaël. Dans une architecture merveilleusement épurée, se dresse un collège de génies, présidé au centre, par Platon et Aristote : la transcendance et l'immanence.
Voilà l'image même de L'Utopie telle que
Raphaël,
Raphaelo Sanzio ou Santi dit - RAPHAEL
Il est né à Urbino, dans les Marches, le 28 mars 1483. Il est mort à Rome, le 6 avril 1520. Encore un de ces êtres qui, aux côtés de Mozart, de Schubert et d'autres, ont marqué de cette
fulgurance du génie l'histoire de l'humanité.
Son père, Giovanni di Santa di Pietro est peintre. Tout petit, Raphaël se familiarise avec les pigments, la colle, le liant, l'oeuf. A 11 ans, il est orphelin et déjà génial. Nous le retrouvons à Pérouse, dans l'atelier du peintre "Le Pérugin", chez qui, il poursuit sa formation. En 1504, Raphaël est à Florence. Il peint son premier chef-d'œuvre: la merveilleuse Déposition Palleoni (galerie Borghèse). Il est désormais célèbre. Son compatriote Bramante l'appelle à Rome. Nous sommes en 1508. Les années passées à Rome sont les années de la grande maturité de Raphaël.
Les papes Jules II et Léon X lui firent accomplir une œuvre immense ; le premier lui confia la décoration des 4 Stances ou chambres du Vatican; le second, celle des Loges. Les grands personnages du temps le sollicitent également : c'est ainsi qu'en 1514, il décora pour le banquier Chigi sa villa de la Farnésine (fresques de Galatée). A la mort de Bramante, il devient
architecte de Saint-Pierre et directeur des grands travaux de Rome. Il n'en continua pas moins à peindre fresques, tableaux et portraits.
Comblé d'honneurs, de faveurs, il jouit d'une immense popularité.Il mérita le qualificatif de "divin" qu'on lui donna. Il meurt d'un accès de fièvre paludéenne à 37 ans.
Raphaelo Sanzio ou Santi dit - RAPHAEL
pour les papes, l'avait conçue.
Pour mettre en plan cette notion visionnaire et utopique d'une société, l'homme de la Renaissance a installé, tout d'abord une sorte de géométrie sociale. L'homme du 15
e puis du 16
e siècle va imaginer un
triangle idéal
Le Prince - L'Artiste - L'Humaniste
A la Renaissance, créer un jardin nécessite la présence de trois personnages au moins.
Le premier personnage est le propriétaire, le mécène. Celui-là possède le pouvoir social, politique, économique. De lui dépend la grandeur, la beauté, la complexité du jardin et des merveilles que l'on va y placer.
Le second personnage est ce que l'on appelle, à l'époque,
l'ingénieur. Aujourd'hui nous l'appellerions le dessinateur - paysagiste. Il est celui qui va traduire ce que veut le mécène en adaptant son budget à celui du mécène. Il doit tout faire. Créer ou raser une colline. Il doit terrasser de façon à supporter de gigantesques statues, des grottes artificielles. Il doit trouver la pierre pour tailler les statues, trouver la pierre pour construire les grottes. Il a la responsabilité du travail pratique. Le travail d'un ingénieur est terrifiant. Il commence sa carrière pour un cardinal romain. Il la terminera peut-être pour un grand duc de Toscane ; mais, de toute façon, ce qu'il aura fait pour le grand duc de Toscane doit éclipser à tout jamais ce qu'il avait fait pour le cardinal romain. C'est la fuite en avant du " toujours mieux," qui est très important à la Renaissance. Une émulation extraordinaire pour surprendre, stupéfier, ravir, émerveiller.
Le troisième personnage est le personnage clé:
l'humaniste. C'est le savant, l'érudit, l'homme de lettres, l'homme de sciences qui va concevoir le jardin. L'humaniste va créer le programme, la scénologie du jardin.
Le metteur en scène de jardin est un poste qu'ont occupé des personnages extraordinaires.
Policien, le plus fameux humaniste et chercheur de son temps, ne dédaigne pas de créer des jardins pour les Médicis.
Léonard de Vinci en a créés.
Andrea Mantegna, à Mantoue, également.
Création sur le plan d'une philosophie de l'esprit et des formes sans laquelle un jardin, à cette époque, n'existerait pas.
Un jardin est le lieu privilégié, dans lequel, trois êtres doivent s'immortaliser;
- Le Prince Mécène.
- L'artiste, qu'il soit ingénieur, urbaniste, graveur, peintre, sculpteur ou dessinateur, qui doit se dépasser lui-même.
- L'humaniste qui crée un programme dont la cohérence est absolue.
C'est donc un triple pari.
Ce triple pari s'illustre sous le biais d'une sorte d'urbanisme, de mise en espace de symboles dont le message final doit être évident.
Botticelli, Ange Policien, Jean Pic de la Mirandole et Marsile Ficin avaient l'habitude de se réunir dans les villas médicéennes, d'y suivre leur mécène, Laurent le Magnifique, et d'en partager les méditations.L'itinéraire tracé jadis dans le " Combat en Songe par amour de la Sagesse" s'ébauche au gré des promenades. Les idées de
" Poliphile "
L'Hypnerotomachia Poliphili, ou Songe de Poliphile
C'est une œuvre du Dominicain Francesco Colonna (1453-1538). Livre à clefs, profondément ésotérique, il est une ouverture sur la période d'activité intellectuelle de la Renaissance. Le Songe de Poliphile a joué, de par son caractère hermétique et allégorique, un rôle extrêmement important dans la création des jardins initiatique de la Renaissance Italienne. Ce livre est orné de bois nombreux dus à un artiste inconnu.
L'Hypnerotomachia Poliphili, ou Songe de Poliphile
ont trouvé dans les jardins de Laurent de Médicis une illustration poétique.
Vous entriez vierge dans un jardin, vous deviez en sortir initié. A chaque jardin correspond son initiation. Voilà le but des jardins de la Renaissance. Pour illustrer ce texte, j'ai choisi deux œuvres d'art. Le dernier panneau de
La Licorne.
La Licorne
Un chef-d'œuvre de la tapisserie. Le dernier panneau de la LICORNE, conservé au musée des Cloîtres à New York. Elle date du début du règne de François 1er. C'est un long cycle consacré à l'histoire de la chasse et de la conquête de la Licorne, symbole de pureté et de perfection. Le dernier tableau nous montre la Licorne ressuscitée et captive.
L'artiste a mis en scène la captivité de la Licorne : un enclos fermé, semé de fleurs, animé d'arbres, autrement dit,
un jardin. Elle emblématise tout ce que je vous ai raconté, c'est-à-dire que le jardin est le lieu qui contient le symbole ou mieux, les symboles. Un lieu dont la portée symbolique, la portée d'enseignement, pour ne pas dire la portée initiatique est immense, très forte, très présente. Le jardin contient la Licorne. Voilà le but des jardins de la Renaissance.
La Licorne
Mon second exemple :
"Le Printemps" de Sandro Botticelli.
Sandro Botticelli - La Naissance de Vénus/Le Printemps
La famille des Médicis, à Florence, est par excellence la famille princière à responsabilités de mécène .
Parmi ces Médicis, certains sont très connus :
Cosme l'Ancien, Laurent le Magnifique mais aussi
Lorenzo Di Pia Francesco qui a été l'un des plus grands mécènes de Florence, au 15
e siècle.Il a à son service un peintre merveilleux :
Sandro Botticelli. Botticelli s'est fait dicter un programme philosophico, hermetico, magico, généalogico, héroüque, par un humaniste nommé
POLICIEN, sous forme d'un grand chant. Ce grand chant est devenu un double tableau qui, aujourd'hui encore, est parmi les plus connus au monde.
La Naissance de Vénus et la fameuse Primavera, sont l'exact produit de cette géométrie idéale.
La Florence des Médicis est un exemple privilégié de ce fameux triangle, mais toutes les villes de l'Italie du 15e siècle ont bénéficié du même statut.
- Ferrare, avec la famille d'Este,
- Milan avec la famille Sforza,
- Urbin avec les fameux Montefeltre,
- Mantoue avec la famille des Gonzagues,
- Rome avec les Papes.
Sandro Botticelli - La Naissance de Vénus/Le Printemps
Le Prince - L'Artiste - L'Humaniste
où tout est mis en œuvre pour que, de par l'effort de chacune des pointes du triangle, le Génie humain soit comme fermenté. Toute la Renaissance a joué sur cette sorte de géométrie en triangle idéal.
La Renaissance italienne